Classique / Le maître de la techno fait une halte à L'Auditorium, pour une création estampillée musique classique : retour sur un créateur hors-norme qui a fait sortir cette musique du dancefloor sans pour autant le renier.
« Je crois que nous sommes un peu responsables si notre musique est encore trop souvent uniquement associée à la danse. Il faut une volonté énorme pour changer une image dont après tout nous pourrions parfaitement nous satisfaire »
lâchait Jeff Mills à Libération, en octobre 2000, alors qu'il venait d'interpréter en live au Centre Pompidou sa propre vision de la bande son du mythique chef d'œuvre de Fritz Lang, Metropolis. Une date charnière.
Mills brisait alors l'idée du BPM roi, art du rythme et du bruit qu'il maîtrisait à merveille depuis de longues années, depuis ses premiers pas dans les 80's. Art de la danse en pleine conversion "populaire" qui portait vers l'extase des heures durant, lorsque nous nous abandonnions en rave, ces grands sabbats de l'ère digitale dont il était le roi.
Le sorcier, plutôt... Depuis sa mythique émission sur la radio WDRQ à Détroit, il était surnommé The Wizard. L'homme surhumain, technologique, aux pouvoirs magiques capable de dompter les platines Technics MK2 avec une dextérité hors du commun, d'enchaîner les sons avec une rapidité hors-norme. The Wizard est vite devenu légende d'un monde trop étroit pour lui.
Déjà, co-fondateur de Underground Resistance avec Mad Mike en 1990, il s'en était vite échappé, à peine deux ans plus tard. Jeff Mills voit toujours plus loin, plus vite que les autres. Pas seulement pendant qu'il mixe. Metropolis était un premier pas dans ces chemins de traverse qu'il n'a cessé d'arpenter jusqu'à aujourd'hui : à Lyon, les 29 et 30 mars prochain, il va diriger à l'Auditorium un orchestre symphonique interprétant The Planets, une suite de dix pièces qu'il a composée en 2014, résolument classique, faisant écho à la symphonie Les Planètes de Gustav Holst, imaginée en 1914. L'espace, la science-fiction, inévitablement, l'attirent. Son œuvre comme sa démarche l'inscrivent avec certitude dans le courant afro-futuriste, aux côtés d'un Sun Ra ou d'un Georges Clinton. Mais pas seulement.
S'il cherche sans cesse à inventer et à se transcender (Les Trois âges, de Buster Keaton, une carte blanche au Louvre où il remonta et habilla musicalement L'Enfer d'Henri-Georges Clouzot, ou déjà un concert avec l'Orchestre Philharmonique de Montpellier en 2005, qui réinterprétait alors ses hits techno...), le natif de Détroit n'a pourtant jamais délaissé les platines, continuant sans cesse d'arpenter la planète pour délivrer des DJ sets intenses, étirés au maximum et... habités, tout simplement.
Jamais il ne prend à la légère ce métier de DJ, tentant parfois de le réinventer au travers de concepts (sa série de soirées Time Tunnel récemment) ou poursuivant sa quête de l'infini en enchaînant ses tracks les plus incendiaires (quiconque n'a jamais dansé les bras en l'air sur The Bells a raté sa vie) avec les productions les plus intenses de la scène actuelle et passée. Les vinyles, dont il se sert pour créer son propre feeling au fil de l'histoire qu'il raconte par ses enchaînements, s'apparentent aux ready-made de Marcel Duchamp (comme l'a théorisé le magazine Artpress) qu'il agence au gré d'un flux maîtrisé comme un monteur de cinéma, le pertubant par l'irruption de ses inévitables ajouts live de TR-909, cette boîte à rythme mythique de Roland devenue son emblème, sa Stratocaster à lui, au point d'en offrir quasi-systématiquement un solo en cœur de nuit.
Cet homme maîtrise les fluxs, mais aussi le temps qu'il sait étirer comme personne, en répétant ses motifs sonores à l'envi, jouant des nuances infimes, des progressions subtiles, rejetant la rupture nette pour mieux construire au millimètre près son édifice : c'est un architecte (il fut étudiant dans cette discipline), mais aussi et surtout un plasticien maîtrisant parfaitement sa "géométrie sonore". Vous l'aimiez aux platines ? Convertissez-vous au classique.
Jeff Mills, Planets
À L'Auditorium le mercredi 29 et le jeudi 30 mars