Peinture / La galerie Descours consacre une deuxième exposition monographique à Jean Raine, agrémentée d'un catalogue rétrospectif qui met en exergue l'acuité de l'œuvre de l'artiste belge.
« Je vis dans un état d'insatisfaction fondamentale. Quand j'écris des poèmes, l'image me manque ; quand je peins, c'est le mot qui me manque. Créer n'est pas un plaisir, c'est une nécessité profonde. » (Jean Raine, Le Temps du verbe - 1992). Faire coaliser le trait et le verbe de Jean Raine, voici l'une des réussites du catalogue qui accompagne l'exposition Jean Raine. De CoBrA à l'expressionnisme abstrait. Et il s'agit bien de coaliser, de faire une alliance de la toile et du mot dans le combat contre l'angoisse que l'artiste reconnaissait comme motrice d'une création pluridisciplinaire.
Un artiste d'avant-garde
Le parcours de Jean Raine, bien qu'il se soit amorcé de manière précoce, a été clairsemé d'empêchement, d'incompréhension. Très jeune, il fut en prise directe avec les surréalistes belges. À 16 ans, il participe aux discussions du groupe où il rencontre des artistes qui deviendront des amis tels que Louis Scutellaire et René Magritte. Sur les ruines de l'après-guerre, des artistes d'avant-garde se prêtent à rêver l'art comme un langage universel dégagé de tout élitisme, de toute rationalité dogmatique.
Ainsi naît le groupe CoBrA (1948-1951) à l'initiative de la revue homonyme destinée à diffuser les travaux et idées hétérogènes de ses artistes venant de Copenhague, Bruxelles et Amsterdam. Invité par Christiant Dotremont à participer à la revue, Jean Raine y publie des textes et poèmes, et il organise, toujours sous l'égide de CoBrA, le premier Festival du film expérimental et abstrait, motivé par la promotion d'un art nouveau alimenté par tous les possibles de la création plastique, où les textures et matières donnent un nouveau souffle au cinéma.
Ces participations ne firent jamais de lui un membre à part entière du groupe, mais un électron libre en perpétuelle frénésie créative où poésie, dessin et peinture s'entrecroisent sans se faire d'ombre. Aux prémices de l'œuvre picturale de Jean Raine se révèlent des dessins réexaminant le bestiaire de manière très libérée. S'amorce ensuite la période des encres. Tortueuses, chaotiques, aux créatures hybrides, influencées par la perte de la vue des couleurs qu'un coma éthylique de 21 jours a provoqué.
Naissance chromatique
C'est aux États-Unis, sur la côte ouest, que l'artiste retrouvera cette dernière au moment où la peinture acrylique, pas encore commercialisée en Europe, inonde les ateliers des peintres américains. Une matière première qu'il ne délaissera jamais lui permettant de travailler de manière rapide, et de tisser une relation profonde à la couleur d'abord primaire. Abreuvé par l'expressionnisme abstrait américain et l'action painting, l'œuvre de Jean Raine se métamorphose, elle devient tourbillonnante tout en gardant une perception chaotique yeux dans les yeux.
À même le sol, pieds, mains et pinceaux conquièrent le papier qui sera ensuite marouflé sur toile. C'est dans un corps-à-corps que le peintre s'engage à chaque toile dans l'atelier de sa maison de Rochetaillée-sur-Saône. La palette de couleurs à présent s'enrichit : bleu, vert, rose, violet et ocres se diluent, tournoient en transparence et en couches superposées jusqu'à devenir totalement abstraites. Les créatures que l'on devinait disparaissent au profit d'une profondeur où le regard perd ses repères.
« Je suis un être assez souffrant, souffrant d'une angoisse qui date de ma jeunesse. J'ai lutté contre cette angoisse de diverses manières, et avec des moyens qui n'ont pas toujours été les bons, qui m'ont même parfois conduit au seuil de la mort que je ne souhaitais pas. Pour moi d'ailleurs, la mort est plutôt une naissance. C'est un parti pris de proclamer que l'on naît mort et que l'on meurt vivant. C'est dans cette optique que je vis, que je crée » écrit Jean Raine dans Scalpel de l'indécence en 1994.
Ainsi se présente l'œuvre de Jean-Raine : thérapeutique, éclatée et cyclique. Il fait entrevoir le chaos et l'urgence à travers un labyrinthe pictural et cérébral dans lequel l'artiste déverse, sans les nommer, ses propres souffrances.
Jean Raine. De CoBrA à l'expressionnisme abstrait
À la galerie Michel Descours du mercredi 18 avril au 7 juillet