Rachid Taha : Le Gone du chaâbi

Rachid Taha : Le Gone du chaâbi

Disparition / Alors qu'il devait jouer ces prochains jours à l'Opéra de Lyon, le chanteur Lyonnais Rachid Taha, ancien leader de Carte de Séjour et grande figure du rock'n'raï, est décédé dans la nuit du 11 au 12 septembre dernier d'une crise cardiaque à l'âge de 59 ans. Il fêtait cette année les 20 ans de son chef d'oeuvre Diwan, symbole des passerelles esthétiques et culturelles bâties une vie durant par un artiste hors-normes.

C'était l'un des piliers de la culture lyonnaise et de sa scène rock, lui qui n'était lyonnais que d'adoption et avait depuis longtemps mis les voiles. Mais cela en dit long sur la trace laissée. Né à Oran en 1958, Rachid avait déménagé à l'âge de dix ans avec ses parents à Sainte-Marie-Aux-Mines en Alsace, par ailleurs patrie d'un musicien avec lequel il collaborera, Rodolphe Burger, puis à Lépanges-sur-Vologne dans les Vosges.

Là, le tout jeune homme commence à se nourrir d'influences musicales qui ne le quitteront jamais, à commencer par le punk et le Clash, James Brown mais aussi la musique égyptienne, la chanson française, Bollywood et les films d'Elvis à propos desquels il disait – « mieux vaut un bon navet qu'un mauvais couscous » – tout en continuant à découvrir les incunables de son pays natal comme le chaâbi de Dahmane El-Harrachi.

Ce n'est qu'à l'approche de la vingtaine que Rachid rejoint Lyon, plus précisément Rillieux-la-Pape, où il travaille dans une usine de radiateurs. Il y fonde le groupe Carte de Séjour dans l'effervescence de la scène rock lyonnaise du tournant des années 80 – il a entre-temps ouvert un club "œcuménique" à la Croix-Rousse au nom évocateur : Au Refoulé.

C'est avec Carte de séjour et son "Arab Rock" que Rachid Taha se fait connaître dans la France entière en 1986 via une reprise rock demeurée culte du Douce France de Charles Trénet, à la fois pied de nez et déclaration d'amour au pays qui l'avait accueilli enfant sans toujours, comme pour beaucoup d'immigrés, lui rendre la vie facile. Pour ce pays et ses immigrés justement, Rachid Taha, idéaliste farouchement républicain et laïc, enfant de la Marche des Beurs, a toujours vu les choses en grand, quitte à avaler des chapelets de désillusions sans jamais baisser les bras.

Diwan

Carte de Séjour séparé en 1989, Taha continue en solo de mettre des coups de pieds dans les fourmilières esthétiques, construit des ponts pour favoriser les croisements entre le sud et le nord de la méditerranée, l'orient et l'Amérique ou l'Angleterre, collabore avec d'immenses figures du rock (de Brian Eno à Steve Hillage qui produit huit de ses albums) et révèle des talents de producteur qu'il ne tarde pas à mettre au service des autres.

Il devient aussi une sorte d'icône mal rasée, échevelée, voûtée mais l'esprit toujours prêt à bondir, curieux de tout et d'une culture immense, séducteur et sentimental, flambeur et gentleman, excessif en toute chose, pétri de panache et de conviction – il refusa la Légion d'honneur et ne demanda jamais la nationalité française : « Algérien pour toujours, Français tous les jours » disait-il. S'il se vend alors peu en France, Taha plaît beaucoup en Angleterre où les plus grands l'adoptent, de Robert Plant à Santana – celui-ci reprend son Kelma et en vend 28 millions d'exemplaires.

Et c'est en 1998 que l'artiste explose véritablement aux yeux du grand public : d'abord avec Diwan, album qui évoque l'exil à travers des reprises de grands musiciens arabes à commencer par le précité Dahmane El Harrachi. Taha avait déjà revisité son Ya Rayah sur son deuxième album, mais cette fois-ci sa version électro-chaâbi devient un tube mondial. La même année, en plein mirage black-blanc-beur, le chanteur triomphe également avec Khaled et Faudel sur l'album live 1, 2, 3 soleils. Le raï devient un phénomène en France, de courte durée.

Rock El Casbah

Au début des années 2000, Rachid Taha tourne dans le monde entier, squatte la BO de La Chute du Faucon noir de Ridley Scott avec le terrible Barra Barra, tandis que sa musique continue de s'enrichir d'ingrédients et d'influences nouvelles, du pays berbère à la Louisiane, du flamenco au breakbeat, sur des albums comme Made in Medina, Tekitoi ? et bien sûr Diwan 2 qui reprend la formule de son prédécesseur avec cette fois l'Ensemble de cordes du Caire.

Sur Tékitoi ? Rachid Taha rend hommage à Joe Strummer tout juste disparu en reprenant le Rock the Casbah de Clash en arabe, pour l'occasion rebaptisé Rock El Casbah – l'un de ses plus grands tubes. La légende raconte – et puisqu'il faut toujours imprimer la légende... – que l'original sortit quelque mois après que Taha eut remis à son groupe préféré des maquettes de son travail avec Carte de Séjour et qu'il ne serait pas pour rien dans la genèse de cette chanson.

En 2012, on eut d'ailleurs le plaisir de voir l'enfant du rock lyonnais rejoindre sur la scène des Nuits de Fourvière son idole Mick Jones pour une reprise commune de ce titre. Comme une manière de boucler la boucle dans sa casbah d'adoption. Elle aurait dû l'être doublement ces prochains jours puisque Rachid Taha, qui avait reçu il y a deux ans une Victoire de la Musique pour l'ensemble de sa carrière et annonçait un album pour 2019, était (très) attendu à l'occasion des vingt ans de Diwan pour un concert exceptionnel dans l'une des grandes institutions de la Ville : l'Opéra de Lyon, en compagnie des cordes de l'orchestre de l'Opéra et de son complice et producteur de toujours, Steve Hillage. Cet article aurait dû être initialement consacré à cet événement. Le cœur immense et fragile de ce grand monsieur n'aura pas tenu jusque-là.

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