Désobéissance Civile / La bataille fait rage au cœur de la capitale des Gaules : Extinction Rebellion espère débarrasser l'espace public des trottinettes électriques. Né à Londres en 2018 et importé en France, ce mouvement écologique et social veut lutter contre l'effondrement écologiste et le réchauffement climatique grâce à la désobéissance civile.
Mercredi 2 septembre, 5h30. Nous avions pris contact avec Extinction Rebellion via l'application de messagerie sécurisée Signal, pour convenir du rendez-vous. Un de ses membres accueille les journalistes cours Lafayette et nous briefe : consignes en matière de photographie, objectif de la démonstration du jour... Il nous explique qu'une action de neutralisation des trottinettes électriques a eu lieu la veille. Contrairement à l'événement auquel nous assistons, cette dernière n'était pas publique « en raison du risque juridique plus élevé ».
Nous nous dirigeons vers un lieu tenu secret jusque-là : la place de l'Hôtel de Ville. Arrivés en terrain “hostile”, nous retrouvons une petite dizaine de militants de tous âges. Certains sont partis chercher les trottinettes électriques destinées à être entassées sur la place. D'autres entreprennent de recouvrir les barrières devant la maison commune de pancartes. Plusieurs slogans s'affichent, destinés à interpeller les passants qui ne tarderont pas à affluer en allant au travail : « trottis c'est fini ! », « vos batteries lithium nous mènent au funérarium »...
Rapidement, un policier vient vers le groupe et après une discussion cordiale, autorise les partisans d'Extinction Rebellion à prendre les photos dont ils ont besoin pour témoigner de leur coup d'éclat, sous condition de dégager le plancher ensuite. Avec la présence de seulement sept trottinettes sur la place, l'espace public est tristement désert. Une militante d'un certain âge ironise même : « c'est bon signe si on n'a pas trouvé beaucoup de trottinettes, c'est qu'il n'y en a plus ! ». Malgré tout, l'équipe semble satisfaite. L'objectif : mettre fin aux contrats de Dott et Tier avec la Ville. Le lendemain, dans un café du 3e arrondissement, nous retrouvons deux représentants du mouvement désirant rester anonymes — et discrets sur leur vie professionnelle.
Loin des yeux, près des GAFAM
Le lien entre les combats écologiques et la justice sociale est au cœur de leur lutte contre l'impact des trottinettes électriques. Extinction Rebellion souligne l'hypocrisie des élus locaux et des dirigeants des plateformes de trottinettes électriques partagées. Et dénonce le chantage à l'emploi opéré par ces derniers. Les juicers, chargés de recharger les trottinettes, sont en effet embauchés en tant qu'auto-entrepreneurs ou intérimaires. Ces statuts précaires ne leur permettent pas de bénéficier de certains acquis sociaux. De plus, l'enjeu dépasse nos frontières expliquent-ils : « il y a l'impact avant que la trottinette arrive, et après lorsqu'elle repart ». Dominique* explique que l'extraction du lithium, le recyclage et le traitement des déchets sont réalisés à l'étranger. La trottinette n'a pourtant aucun avantage écologique : elle a une durée de vie d'environ trois mois (selon une étude BCG) et consomme autant qu'une voiture, soit 200 grammes de CO2 par kilomètre. Cette pratique du greenwashing par les entreprises, qui consiste à se donner une image de responsabilité écologique trompeuse par le biais du marketing ou de la communication, est renforcée selon eux par l'attitude des élus locaux.
Les actions de sensibilisation ne suffisant pas à faire plier les entreprises et les pouvoirs locaux, les militants neutralisent désormais les trottinettes. S'ils assurent ne pas mettre les usagers en danger, ils concèdent que cela réduit drastiquement la durée de vie de ces engins : « on aimerait ne pas avoir à en arriver là. C'est une des seules choses qu'on pouvait faire » nous disent Morgan et Dominique. D'après ces derniers, les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) sont les grands gagnants de l'ouverture de ce nouveau marché : la collecte et la revente des données privées, ce « nouvel or noir », participerait ainsi à la surveillance de masse déclarent-ils. Les entreprises concernées ont adopté en réponse une stratégie de décrédibilisation visant à accuser Extinction Rebellion de refuser le dialogue. « Ils ont beaucoup à gagner en reverdissant leur image, à potentiellement nous coopter. Malheureusement, on n'aura jamais un rapport de force égale avec ces entreprises ».
Un mouvement à l'épreuve de l'urgence climatique
Le collectif se veut exemplaire dans son fonctionnement interne : inclusion maximale, prise en compte des situations individuelles, holacratie, amélioration de la diversité des profils ou encore remise en question... Ce fut le cas lorsque les QR codes des trottinettes étaient encore détruits au marqueur. « On s'est rendus compte qu'au final ça ne servait pas l'objectif. Ce sont les juicers qui prennent de l'acétone et enlèvent l'encre ». L'action était indolore pour les entreprises. Grâce à une étude plus poussée du fonctionnement des engins, les rebelles sabotent désormais les batteries, les systèmes de GPS ou les parties électriques. Cette exemplarité va de pair avec leur maîtrise de la communication. La notion de “rapport de force” revient régulièrement, la préférence du terme “neutralisation” à celui de “destruction” et “apartisan” plutôt que “apolitique”, le contournement du mot anticapitaliste, et surtout l'idée ne pas blâmer qui que ce soit, excepté les élus et les grands dirigeants.
Reste la question des solutions. Extinction Rebellion évoque quelques pistes comme le municipalisme libertaire et les assemblées citoyennes. Concernant la convention citoyenne pour le climat, Morgan la qualifie de « solution incomplète, insatisfaisante ». Ils souhaitent redonner « le pouvoir au peuple par le peuple » mais ne savent pas encore comment y parvenir : « personne n'en sait rien, on essayera seulement de faire au mieux ». Et Extinction Rebellion n'envisage pas de présenter des candidats à des élections. « Qui croit encore que ceux qui sont nos élus nous représentent ? » nous dit l'un des militants. Le mouvement écologiste préfèrerait repenser les formes de décisions avec l'idée de « mandat » et estime que des contre pouvoirs sont nécessaires pour résister à la corruption, sans préciser lesquels. Les deux partisans clarifient : « c'est notre point de vue et on ne parle pas au nom du mouvement ».
Le 4 septembre, Le Monde faisait état d'une forte diminution des effectifs d'Extinction Rebellion lors d'actions à Londres. Force est de constater que sur une trentaine de militants attendus à Lyon mercredi dernier, seule une petite dizaine était présente. Ligne politique trop floue ou absence de porte-parole charismatique peuvent être des raisons évoquées pour ces désaffections : attention, toutefois, à ne pas louper le grand rendez-vous de l'urgence climatique.
* Les prénoms ont été modifiés