Street Art / Cette deuxième édition de Peinture Fraîche (co-organisé par Le Petit Bulletin) tient ses promesses : nouvelles technologies, profusion d'œuvres sur divers supports et parcours renouvelé sont au rendez-vous. Une visite inédite qui convoque la réalité augmentée et ravira les amateurs de street art.
Il en fallait du courage et de la volonté pour maintenir cette seconde édition du festival Peinture Fraîche. Malgré les quelques modifications et annulations occasionnées par la crise sanitaire, la grande célébration du street art a bien lieu jusqu'au 25 octobre. En tant que premier événement culturel d'envergure de cette rentrée, l'équipe a donné le ton dès les premières heures avec une inauguration masquée et distanciée en présence des partenaires, de la presse et des élus locaux.
Cette épreuve du feu a rassuré les organisateurs quant à la capacité de chacun à respecter les règles du nouveau monde : on ne se colle pas au voisin, on boit et on mange assis, on se désinfecte les mains à l'entrée et on ne porte pas le masque sous le nez mais bien au-dessus. Des règles peu réjouissantes, mais auxquelles le secteur culturel doit se plier s'il veut survivre. Une survie qui ne se fera pas sans le public qui se montre plutôt timide sur l'ensemble des manifestations culturelles. Alors, lorsqu'un événement se maintient il est important, voire militant de s'y rendre ! Au prix de 5€ la visite de deux heures — elle est gratuite pour les moins de 12 ans, ce soutien nécessaire s'avère accessible.
Double vision
Le tour de force opéré par cette édition réside dans sa capacité à convoquer les nouvelles technologies. Les fresques, photographies et installations des artistes PF Juin, Brusk, Bond Truluv, Aheneah, The Blind, Soda, Alber One, El Pez, Cart'1, Ben Eine, Adam Fujita, Astro, Mars Yahl et de 9e Concept sont soumises à une double lecture. Celle possible à l'œil nu et celle opérée grâce à son smartphone ou visioguide délivré par le festival. Parmi les animations les plus spectaculaires, l'on peut citer celle de Bond Truluv, artiste allemand qui repousse les frontières des possibilités qu'offre la technologie. L'animation de la fresque guignolesque de Brusk se fend d'un clin d'œil non dissimulé aux violences policières commises lors de diverses manifestations avec des balles de LBD fumantes sur le sol. Le Guignol graffeur montre du doigt l'ordre qu'il vient de mettre KO.
En convoquant la réalité augmentée, Peinture Fraîche permet aux artistes d'explorer de nouvelles possibilités créatives. Tandis que le public prend plaisir à user son smartphone pour une utilisation à caractère artistique, les éloignant quelques instants des notifications. La technologie et l'art se marient, et de cette union naît une capacité à s'émerveiller qui se raréfie.
Avec l'artiste argentin Spidertag, on met de côté la réalité augmentée au profit de la lumière et d'un nouveau type de fresque murale. Faite de câbles de néons flexibles, son intallation de 22 mètres sur 8 apporte une respiration lumineuse à cette exposition. Idem du côté de l'œuvre interactive d'Antonin Fourneau Water Light Graffiti qui donne l'occasion au public d'appréhender le pinceau d'une façon inédite en composant des messages et dessins éphémères sur un mur de LED qui s'illumine au contact du pinceau et de l'eau.
Récits de circonstance
La Halle Debourg se peuple de récits qui sont autant de miroirs à l'actualité. Le Bart Simpson du New-Yorkais Adam Fujita baisse son short, bombe à la main, sourire malicieux aux coins des lèvres et provoque l'Amérique qui se replie. L'artiste qui était venu peindre au mois de février ne pouvait imaginer que la crise Covid pousserait Trump à l'hosto quelques jours, donnant une raison supplémentaire à son Bart fluorescent de se marrer. L'étonnante installation de la Portugaise Aheneah en point de croix s'apprécie dans un temps suspendu, sur le fil d'une représentation de femme qui rêve d'un avenir meilleur pour ses sembables. Du côté du pochoiriste lyonnais By Dav', le ton se veut toujours aussi incisif : un orang outan déguste tristement la pâte à tartiner coupable de la déforestation de son habitat, une famille regarde son avenir tapissé de bombes atomiques tandis que Trump, Poutine et Kim Jong-un portent des masques chirurgicaux comme des œillères. Plus loin, les installations en papier mâché et carton de Green surplombent la Halle traduisant l'espoir que le nouveau dogme écologique domine un jour nos quotidiens.
Là où l'édition précédente se révélait quasiment d'un bloc, la visite du second volet est morcelée en une multitude d'espaces et de recoins nous permettant de nous faufiler de façon intimiste dans l'univers des artistes exposés. L'installation de containers accueillant l'Artshow, autrement dit l'exposition d'œuvres sur divers supports, met en valeur la volonté de l'équipe de promouvoir les artistes urbains et leurs travaux d'atelier. Des travaux mis en vente dont les recettes encouragent la professionnalisation des artistes et la continuité de leur pratique. Les artistes locaux programmés l'an passé ont ainsi été invités à exposer à l'Artshow et à vendre leurs pièces comme Big Ben, Ememem ou Yandy Graffeur qui ont répondu à l'appel.
Au sein de ces blocs de métal, on s'arrête volontiers devant les dioramas du Grenoblois Okyel. Des décors miniatures de scènes urbaines (portes, devantures de magasins, cabines téléphoniques taguées) qui va à contre courant de la course au gigantisme que connaît actuellement le street art. Ou devant les photographies de Mars Yahl qui s'est imposé comme contrainte la reproduction de peintures classiques en y substituant les éléments originaux par des graffeurs et leur arsenal de bombes, de canettes entamées et de masques de protection de chantier. Tout comme les peintures, la photographie s'apprécie en réalité augmentée avec cette révision de La Cène de De Vinci. Une ode à l'amitié entre graffeurs ainsi qu'à la convivialité et à la fête dont nous sommes tristement privés.
Peinture Fraîche
À la Halle Debourg jusqu'au dimanche 25 octobre ; 5€