Peinture Néo-classique / Le Musée des Beaux-Arts réunit les trois frères artistes Hippolyte, Paul et Auguste Flandrin, acteurs clefs de la scène lyonnaise du début du XIXe siècle. L'exposition foisonnante explore leur complicité artistique, et dévoile, dans un parcours thématique, nombre d'œuvres méconnues.
Comment ne pas tomber amoureux de La Florentine et de son doux regard bleu d'une pureté désarmante, glissant de biais vers le spectateur ? Le drapé de sa tunique blanche et lâche souligne (en le cachant) la sensualité de son corps, et le cadrage serré sur le haut de son buste nous la rend très proche malgré la fuite éternelle de son regard... À quelques pas de là, dans un autre tableau, un jeune homme nu repose la tête entre ses genoux et les yeux fermés, assis sur un rocher juchant la mer... Dans ces deux toiles de la fin des années 1830 signées Hippolyte Flandrin, nous sommes frappés par la sérénité de la beauté des corps et des visages.
Même si affleurent possiblement dans ces toiles tristesse ou abandon, quel calme, quelle douceur dans les formes et dans les poses ! Mais l'on se rend compte bientôt que, le temps d'un regard, nous étions plongés dans un monde idyllique, idéal, hors d'atteinte. C'est là à la fois le charme et le vertige du néoclassicisme pictural dont la figure tutélaire se nomme Jean-Auguste Ingres. Chez ce dernier comme chez son élève Hippolyte Flandrin (1809-1864), ou dans une moindre mesure chez Paul (1811-1902) et Auguste (1804-1842) Flandrin, la force idéale des corps et de la nature, tour à tour, nous fascine et nous paralyse, aiguise notre sensualité et nous expulse hors du monde archétypal du tableau, affole notre sensualité puis la laisse glisser le long de l'aplomb raisonné des formes.
La fuite des idéaux
Cette ambivalence rythme le parcours de l'exposition consacrée aux trois frères Flandrin, dont Hippolyte tient (quantitativement) la vedette. Si les portraits, les scènes paysagères (celles de Paul surtout), les nus nous enthousiasment, les scènes plus narratives ou plus référencées (à la mythologie et à la religion) nous laissent souvent de marbre. Ceci étant, le "marbre" des formes confine parfois à l'inquiétante étrangeté, comme dans cette grande Pietà de 1842 d'Hippolyte Flandrin où la Vierge n'est plus qu'un bloc d'ombre fantomatique, tandis que le corps étendu du Christ émet une jaunâtre lumière pierreuse et cadavérique. Dieu est bel et bien mort et les peintres ont du mal à retrouver de l'idéal ou de la foi au forceps de leur virtuosité. On en veut pour preuve encore les paysages superbes de Paul Flandrin où la présence humaine devient presque insignifiante au milieu de la nature (aux alentours de Rome, sur les plages normandes, en Provence, dans la vallée du Rhône...), et où, dans sa Fuite en Égypte (1861), c'est moins la scène biblique qui nous touche que le rendu époustouflant des feuillages et des jeux de lumières.
Hippolyte dans la force plastique de ses visages et de ses corps, Paul dans la grâce minutieuse de ses paysages de plus en plus épurés, découvrent (malgré eux?) que la peinture va devoir se pencher maintenant sérieusement sur une humanité nue au milieu d'une nature muette.
Les Flandrin, artistes et frères
Au Musée des Beaux-Arts jusqu'au dimanche 5 septembre
Repères biographiques
Auguste (1804-1842), Hippolyte (1809-1864), Paul (1811-1902)
1829 : Hippolyte et Paul quittent Lyon pour Paris, et entrent comme élèves dans l'atelier de Jean Auguste Ingres. Auguste rejoindra Paris et l'atelier d'Ingres en 1833
1838 : Auguste rejoint ses deux frères pour un voyage en Italie. À son retour à Lyon, il ouvrira un atelier place Sathonay. Hippolyte et Paul, quant à eux, résident à Paris et travaillent beaucoup ensemble
1841 : Chaque été, Paul voyage à travers la France afin de réaliser des études d'après nature. À la fin des années 1850 il découvre les côtes normandes, et travaille aussi dans la forêt de Fontainebleau
1842 : Hippolyte commence le décor de l'église Saint-Germain-des-Près à Paris, chantier qui se prolongera en plusieurs phases sur l'ensemble de sa carrière
1864 : À la mort d'Hippolyte, Paul se voit confier l'achèvement du décor de la nef de l'église Saint-Germain-des-Près