Restaurant / Il a fermé, ce repaire et point de repère de l'avant-gardisme culinaire qu'était La Bijouterie, après sept ans déjà d'existence. Entre les murs reste l'esprit, une partie de l'équipe, et même un peu plus que ça sous le nom de Morfal.
Que restera-t-il de la cuisine des années 2010 ? Celle qui, tout en ringardisant le bibendum, remit le focus sur la cuisine française. À Lyon : Le Palégrié (prix du Fooding en 2013) fermé, le Café Sillon (idem en 2015) fermé, et La Bijouterie (pareil en 2016)... qui vient de mettre la clé sous la porte.
Cette dernière avait construit son succès sur un menu déj' de dim sums et un menu dégustation d'assiettes voyageuses. Elle avait survécu aux confinements et venait de se refaire une beauté. On en parlait dans un article publié en novembre. La photo d'illustration laissait peut-être penser le contraire et pourtant Arnaud Laverdin, chef et fondateur, y assurait sa joie de pouvoir recuisinier dans un resto rafraîchi par une inspiration « night markets » en résonance avec les assiettes.
La rénovation laissait une plus large place aux fourneaux, un peu moins aux convives, invités à partager une même table, seulement en soirée. Cette nouvelle proposition, autour d'un menu à plus de 70€, a-t-elle échouée à trouver son public ? Arnaud assure le contraire. Le contexte par contre a évolué. À l'automne, il était déjà question de la crise du recrutement : le chef nous expliquait ne pas trouver de sommelière, galérer à embaucher des plongeurs, il affirmait qu'il voulait pourtant offrir un meilleur confort de travail que ce que sa génération a connu.
À cette crise s'ajoute maintenant celle des matières premières. « Les prix fluctuent énormément d'une semaine sur l'autre. Or, un menu dégustation ça met du temps à être élaboré, on ne peut pas le changer du jour au lendemain. On ne peut pas s'adapter à partir des produits qui sont effectivement disponibles. On a toujours été dans une démarche où l'on valorise au maximum le produit : à travailler des carcasses entières, à utiliser l'entièreté des légumes, à faire du séchage [il y a d'ailleurs d'étranges squelettes de poissons suspendus au dessus du plan de travail], des fermentations, etc. Mais là ça ne suffisait plus. » Il y avait donc nécessité mais surtout l'envie de revenir à un format plus simple, plus bordélique, plus joyeux. Le désir de tourner une page.
Un bouillon à la bière blanche
Au premier service de cette ex-Bijouterie renommée Morfal, et dont les fourneaux devraient être dirigés à terme par Steven Thiebaut-Pellegrino — l'ancien second de cuisine —, on picorait ce soir-là quelques pickles, du concombre tsukemono ou du kimchi, pour accompagner un verre de rosé bio des Béates, ou une quille piochée dans la cave, par exemple les blancs du domaine Ligas en Grèce ou de Jean-Yves Peron en Savoie.
Pour accompagner ces merveilles, on pouvait se partager des assiettes (6 à 9€), comme un somptueux petit tronçon de lieu noir, lustré d'un laquage au miso et piment coréen, doré sur un barbecue japonais, à tremper dans une salsa verde. Belle entrée en matière, qu'on faisait suivre d'un épais toast de pain de mie, tartiné de pâte de crevette au sésame, bien relevée de la fameuse sauce XO de la maison (aux Saint-Jacques séchées) et d'une bonne poignée d'herbes fraiches.
On pourrait croire Arnaud et sa bande prisonniers d'un tropisme asiatique, ce serait une erreur, comme le prouve ce bol printanier rempli de tronçons d'asperges vertes et petits pois al dente, mais aussi de petits haricots blancs, rafraichis d'un bouillon à la bière blanche relevé de vinaigre de citron et menthe ; ou pour finir ces quelques fraises, légèrement cuites sous vide au vinaigre de balsamique noir et huile de pépin de courge, accompagnées de petites meringues comme des cailloux.
Tout ça est donc le fruit non pas tant d'une simplification de ce qu'était devenu la Bijouterie, que d'une réduction : reste l'essentiel.
Morfal
16 rue Hippolyte Flandrin, Lyon 1er
Du lundi au samedi de 18h à 23h et le midi le week-end