Expo / Les galeristes Jacques Damez et Catherine Dérioz exposent leur collection personnelle au Réverbère. Un régal pour les amateurs de photographie. Jean-Emmanuel Denave
«Notre collection personnelle n'est pas une simple accumulation d'œuvres et de signatures. Ce n'est pas non plus une succession de coups de cœur plus ou moins compulsifs et désordonnés, ni la conséquence de décisions trop raisonnées et sans appel, vouées à un seul courant de la photographie. C'est une quête sans cesse renouvelée de nouveaux temps, semeurs de trouble esthétiques et éthiques...», écrit Jacques Damez. Bien malin donc serait celui capable de déceler, au regard des très nombreuses images exposées, une quelconque ligne artistique dominante. Tout au plus remarque-t-on l'absence de photographies clinquantes ou à la mode, et un certain goût pour les images ouvrant dans leur propre «espace» d'autres cadres, d'autres fenêtres, d'autres surfaces réfléchissantes, d'autres abîmes optiques. La plupart des artistes font partie de la galerie, mais on découvrira aussi quelques grandes figures de l'histoire de la photographie (Raoul Haussmann, Bill Brandt), des compagnons de route (Bernard Plossu) ou d'anciens photographes de la galerie (Bernard Descamps). Troubler, bousculer le regard François Truffaut et Orson Welles, saisis en noir et blanc par Xavier Lambours, nous accueillent dès l'entrée de la galerie : de beaux portraits relativement classiques dont le «contre-champ» possible pourrait être, en fin de parcours, un tout autre ensemble de portraits jouant avec les limites de la dé-figuration, de la disparition du corps et des visages parmi la matière et la lumière : dérangeants autoportraits superposés de crânes signés Dirk Braeckman, portraits contrastés jusqu'à l'étiolement des formes de Jean-Claude Palisse, solarisations verdâtres d'Yves Rozet... Entre les deux, les images se bousculent et bousculent le regard, jusqu'à parfois vouloir sortir du cadre trop étroit qui leur est habituellement attribué : photos coups de poing de William Klein, dont des images célèbres de New York ou cette inquiétante parade de danseurs butô dans une rue délabrée de Tokyo, avec au premier plan un type masqué de noir qui semble vouloir frapper à la vitre de nos rétines. L'exposition présente d'autres ensembles superbes, tel celui du grand Bill Brandt «croquant» l'Angleterre des années 1930 : gosses crasseux des cités industrielles, passage d'un train écumant de suie, petit personnel isolé en cuisine, tandis qu'ailleurs quelques aristocrates improbables batifolent dans un parc anachronique. Émouvante série également de Denis Roche, passé grand manitou du reflet, du miroir et de la représentation de l'acte même de photographier, mêlant son amour de l'image à l'amour tout court, et accrochant son angoisse de la disparition et de la perte à cette surface photographique si fragile retenant quelques volutes de temps. Citons encore deux photographes funambules et vagabonds, le jeune Thomas Chable et le toujours jeune Bernard Plossu : poètes de l'infime, de l'évanescence et du fragment. Une collection à deux Au Réverbère, jusqu'au 28 avril