Le photographe lyonnais Jacques Damez présente au Réverbère la suite récente de son travail sur le nu féminin, ainsi que d'autres séries d'images. Une œuvre qui fait de la photographie tout à la fois un acte de réflexion, un acte d'émotion et un acte poétique. Propos recueillis par Jean-Emmanuel Denave
Comment est née la série Tombée des nues... ?
Jacques Damez : Le nom du projet et les premières photographies datent de 1991. Il est né d'une réflexion plus ancienne encore avec les séries Contraintes par corps et La 25e heure, où je m'interrogeais sur l'autoportrait, "l'autocorps", l'auto-réflexion... C'est aussi un questionnement sur ce phénomène essentiel : je ne comprends le monde qu'à travers mon espace physique, cet espace imposé avec lequel il me faut composer... Après tous ces cercles concentriques autour de mon propre corps, j'ai voulu me confronter au corps de l'autre et à cette question encore plus complexe, celle du nu qui excède celle du corps. Avec Tombée des nues..., je m'interroge sur la peau, sa surface, son abstraction, ses évocations...
Comment se déroulent les prises de vue ?
Dès le départ, j'ai pris la décision de ne pas "piloter" mes modèles. Je ne demande ni attitude ni pose. C'est l'une des raisons pour lesquelles la série continue : chaque sujet agit différemment avec son corps selon son histoire, selon ses inhibitions, chaque personne se couche et s'assied en écho avec son temps propre. Je dis simplement au modèle d'être là et c'est le modèle qui offre des images, des attitudes, des états d'être... Ce n'est pas une série programmée d'avance mais liée au fil des rencontres.
Les corps sont souvent fragmentés dans vos photographies...
Dans la série Tombée des nues..., je souligne la coupe et le morcellement que la photographie opère en général sur le monde et sur les corps. C'est lié aussi à la pulsion scopique en psychanalyse où le regard ne se pose jamais sur un ensemble mais sur des parties d'un ensemble. Pour la série suivante, La couleur du noir et blanc, ma réflexion intègre aussi des problématiques liées au fond, au décor, à la surface des matières (surtout la soie). Avec les matières, j'obtiens des jeux entre le fond et la surface qui peuvent s'inverser selon les prises de vue.
Pourquoi ce choix du noir et blanc dans vos deux séries ?
Le noir et blanc permet une certaine abstraction par rapport à la réalité, un regard plus subjectif. De la même manière, mon regard s'exprime et se décline subjectivement à travers le choix des formats, du type de papier et de la modalité du tirage. Dans mes photographies, j'essaye de rendre au plus près ma manière de percevoir ces corps à travers un maximum d'éléments (cadrage, mise au point, tirage...). Il s'agit de caresser les surfaces afin d'être au plus près des sentiments que je ressens, de mes perceptions. La photographie n'est ni uniquement une technique, ni seulement une image, c'est un tout. Je l'ai toujours considérée comme très proche de la poésie, poésie qui est tout à la fois du sens, une sonorité des mots, un renvoi d'évocations de mot en mot. La poésie relève de l'indicible, mais avec une présence incroyable des mots qu'il s'agit d'atteindre.
Vous présentez aussi au Réverbère d'anciens travaux, vos Séquences notamment...
Ces Séquences exploraient déjà les notions de surface, de transparence, de coupe, le fait de passer à travers, etc.. Mais cette série, comme sa construction formelle le laisse deviner, est très liée aussi à une période de ma vie particulièrement cinéphile, à la fin des années 1970 et dans les années 1980, où je me passionnais pour Wim Wenders, Jean-Luc Godard, Andrei Tarkovski... Je m'en suis un peu détaché aujourd'hui, même si certains enjeux sont présents, si un rapport fort à l'architecture y apparaît déjà et si l'idée de séquence se retrouve aujourd'hui dans des images fonctionnant en polyptyque. Quand on avance dans une œuvre artistique, on se rend compte rétrospectivement qu'une même petite musique accompagne les différents travaux au fil du temps. Mes séries forment comme une spirale qui tourne autour d'un même centre.
Jacques Damez
Au Réverbère jusqu'au 27 décembre