Une figure emblématique de la scène française et une jeune louve assoiffée de sons : Françoiz Breut et Camille se partagent la scène du Ninkasi Kao pour une soirée à coup sûr touchée par la grâce.Emmanuel Alarco
Il est des grands disques qui vous claquent à la gueule dès les premières secondes ; d'autres, plus vicieux, ne vous inoculent leur philtre d'amour qu'après plusieurs visites. Avec Une saison volée, Françoiz Breut nous démontre que la règle vaut aussi pour les "petits disques". Après plus de quatre ans d'attente, la première impression laissée par ce troisième album fut, en effet, plutôt mitigée : passée la reprise enlevée d'un très beau titre du dernier Jérôme Minière, les plages défilaient sans heurt, donnant l'impression que les valeureux bâtisseurs de chansons qui avaient offert leurs services s'étaient à quelques exceptions près, servis dans leurs fonds de tiroir.
Le temps a passé, nous ramenant malgré tout à l'objet du délit, en façonnant inexorablement le relief pour finalement atténuer les creux et magnifier les sommets. Pour un Herman Düne en petite forme (Please be angry), un autre plus inspiré, en duo avec Joey Burns de Calexico (qui, excusez du peu, joue de la contrebasse sur la moitié de l'album) ; pour une virée en Espagne un peu pâlichonne, une perle en Italien signée Fabio Viscogliosi ; pour un entêtant KM 83 (dans le plus pur style Ané-Breut), une deuxième composition plus aventureuse de Dominique A qui, fatalement, le place au-dessus de ses petits camarades dans cet exercice qu'il a inventé en menant la belle au micro dans les années 90. Sacha Toorop (l'indispensable batteur de la maison A), Luc Rambo (lui aussi aux claviers sur Remué) et Boris Gronemberger (guitare) donnent vie à tout ça avec classe et invention, laissant augurer de belles tranches de scène.
Le fil de la vie
Le chemin jusqu'à Camille n'aura lui non plus pas été de tout repos. Pas forcément conquis par son premier essai (Le Sac des filles en 2002), on s'est gentiment rapproché de la jeune fille au gré de ses collaborations avec Murat, puis de ses prestations formidables avec Nouvelle Vague. Dotée d'une voix aux mille couleurs, impressionnante d'aisance et de charisme, elle revient avec un deuxième album justement centré sur cet organe si singulier. Peuplé de rares instruments mais d'une multitude de pistes hantées par les mélopées de la demoiselle, Le Fil s'apparente plus à une créature vivante tout juste sortie du ventre de sa mère qu'à un disque comme on en croise tous les jours. Ses pulsations cardiaques font office de rythmiques déconstruites et son vague à l'âme imprime à l'ensemble un mouvement mélodique étourdissant.
On est loin de l'armada de virtuoses de la luette que déployait Björk sur Medulla (ici la maîtresse des lieux s'acquitte elle-même de toutes les parties vocales), mais Camille, elle, n'a pas oublié l'essentiel : écrire des chansons. Soul, jazz, groove... Boulimique, elle n'a aucune envie de se priver, faisant cohabiter avec sensualité ces couleurs qui s'accordent d'ordinaire si mal avec la langue de Molière. Ceci n'est pas un disque, non, plutôt un enfant de chair et de sons que son heureuse maman a mis au monde avec, semble-t-il, infiniment de plaisir.
Françoiz Breut & Camille
Au Ninkasi Kao Jeudi 21 avril
