Entretien avec Thierry Frémaux, directeur de l'Institut Lumière et du festival Lumière.
Petit Bulletin : Quel est votre objectif avec ce festival Lumière ? Donner une image différente de la cinéphilie ? Créer un engouement populaire autour du cinéma de patrimoine ?
Thierry Frémaux : Avec Bertrand Tavernier et Gérard Collomb, notre objectif est d'abord d'organiser un événement de cinéma à Lyon qui est l'une des rares grandes villes européennes et française à ne pas en avoir. Deuxièmement, un événement de grande envergure, populaire, grand public : rester entre spécialistes ne nous intéresse pas. Nous voulions aussi un festival qui corresponde à l'image de la ville et qui s'inscrive dans une problématique d'aujourd'hui : il est vite apparu naturel de se consacrer à l'histoire du cinéma parce que Lyon en est la ville natale mais aussi parce que la “civilisation numérique” est au coeur de la cinéphilie à travers les DVD, les restaurations, la VOD. On est actuellement dans un cycle très actif, à échelle internationale, et on souhaite en être le reflet, et dire que le cinéma doit s'inventer un “âge classique”, comme on le dit de la littérature ou de la musique. Si c'est à Lyon que ça se fait dans les années qui viennent, si on arrête de parler de “vieux films” et de dire que c'est passéiste d'aimer les films de John Ford, de Maurice Pialat ou les comédies de Woody Allen, Georges Lautner ou Ettore Scola, on aura gagné notre pari.
Le festival s'est construit autour du Prix Lumière, une idée que vous évoquiez depuis de nombreuses années comme un “prix Nobel du cinéma”. Pourquoi a-t-il fallu autant de temps pour voir aboutir ce projet ?
Le temps est toujours un allié à Lyon. Un tel projet nécessite un peu d'argent et de l'intérêt politique. Les conditions n'ont pas toujours été réunies dans le passé ; peut-être aussi n'étions-nous pas prêts. Là, il est clair que les élus du Grand Lyon et de la Région Rhône-Alpes d'un côté et le public de l'autre sont dans une dynamique favorable. Ça tombe bien, nous aussi ! 2500 personnes dans l'Amphithéâtre de la Cité Internationale seront là pour “remercier” Clint Eastwood : il faut savoir prendre le temps de l'admiration et de la reconnaissance.
Pourquoi et comment ce choix s'est-il porté sur Clint Eastwood ?
Le Prix Lumière, que nous avons imaginé avec Bertrand Tavernier, récompensera chaque année un cinéaste pour l'ensemble de son oeuvre mais aussi pour le lien qu'il entretient avec l'histoire du cinéma. Nous avons réuni quelques spécialistes mondiaux, qui seront d'ailleurs présents à Lyon, en leur demandant vers qui irait leur préférence : le nom de Clint Eastwood s'est vite dégagé. Et qui pourrait contester la pertinence de ce choix : Eastwood a une oeuvre de cinéaste et d'acteur incomparable et il est animé par un magnifique esprit d'admiration et de fidélité à ses aînés. Et en même temps, c'est un cinéaste actif, qui vient de terminer un film en Afrique du Sud et qui en commence un autre bientôt. Rien de passéiste, donc. On ne pouvait guère rêver mieux. Quand il a accepté, nous étions fous de joie. Je sais que nous ne sommes pas les seuls !
Le festival bénéficie d'un budget important...
Au moment où nous nous parlons, le moment du bouclage et des finitions, nous aimerions que le budget soit plus élevé ! Tout dépend à quoi on se compare. Le Grand Lyon et la Région Rhône- Alpes ont répondu présents, comme les partenaires historiques de l'Institut Lumière, le CNC, la Ville de Lyon ou le Département du Rhône. De nombreux partenaires privés ont suivi et une multitude d'entreprises lyonnaises. Cet engouement nous a beaucoup frappés. Encore une fois, le moment est favorable.
Comment ce budget est-il réparti ?
L'organisation, la communication, la programmation, rien que de très classique. Comme dans le cinéma d'Howard Hawks : tout l'argent est sur l'écran ! Nous avons dû renforcer l'équipe de l'Institut Lumière. Et pour une première année, nous avons fait quelques investissements : une projection à la Halle Tony Garnier nécessite un peu d'exigence si on veut que cela soit spectaculaire. Quand Clint Eastwood viendra y présenter Le Bon la Brute et le Truand, il va être épaté. Comme les 4 000 lyonnais qui ont déjà acheté leur place...
Le festival a-t-il contribué financièrement à la restauration de certaines copies ? Est-ce un objectif pour les prochaines éditions ?
C'est en effet l'un de nos objectifs : que le Festival ne se contente pas de montrer des films mais contribue à la préservation et à la restauration du cinéma classique. Notre carburant, ce sont les oeuvres et nous voulons des copies restaurées, des projections de qualité. Le festival a donc contribué financièrement à la restauration des films de Sergio Leone avec la Cineteca de Bologne. Des distributeurs ont aussi profité de l'occasion pour montrer des films qui seront bientôt dans les salles. Nous en profitons aussi pour commencer par le début : les films Lumière, restaurés en numérique haute définition, avec le soutien de la famille Lumière et de l'État. C'est une splendeur. Et on y a ajouté quelques surprises en avantpremière mondiale ! Même pour les Lumière, on peut encore surprendre.
Comment envisagez-vous la place du festival dans la mission générale de l'Institut Lumière ? Comme un complément luxueux ? Ou comme une vitrine ?
Comme quelque chose de naturel. La perspective de l'Institut Lumière est triple : tout d'abord renforcer la structure permanente qui gère des collections, une programmation, des actions du côté des scolaires ou de l'édition, ensuite veiller sur le site de la rue du Premier-Film pour lequel nous, la Ville de Lyon et les Lyonnais avons des responsabilités historiques et enfin aller vers l'événementiel sans lequel tout cela resterait dans l'ombre. Le festival est un moteur de développement de l'Institut Lumière, dont les missions sont ainsi plus que jamais réaffirmées. C'est notre “Champion's League” à nous ! Mais nous ne délaissons pas le championnat pour autant. Juste après le Festival, nous accueillerons Terry Gilliam !