Eldorado commercial à la formule perdue, le cinéma français populaire de qualité des années 60 et 70 se déguste aujourd'hui avec un zeste de nostalgie et un fond de mauvaise foi. Il faut revoir L'Homme de Rio (1964) de Philippe De Broca pour comprendre que ce cinéma-là n'a jamais été l'égal de son cousin américain, même si il lui a fourni d'élégants brouillons — il y a du Indiana Jones dans L'Homme de Rio, notamment dans sa dernière demi-heure pleine de péripéties à base de grottes piégées et de jungle sauvage.
De même, il faut remarquer qu'il tire profit des leçons de la Nouvelle Vague et de la fraîcheur filmique qu'elle a insufflée dans le cinéma français. À commencer par Belmondo, qui chambre avec le même charme canaille que chez Godard policiers et notables ; mais la mise en scène elle-même se soucie assez peu de cette "réalisation" qui glaçait les films commerciaux d'avant et pétrifie les films pour multiplexes de maintenant. De Broca n'a pas peur des faux raccords et des jump cuts, il privilégie le bloc qu'est la séquence plutôt que la fluidité dans l'enchaînement des plans.
Cela donne par exemple un passage saisissant où Belmondo ne fait rien d'autre que traverser les décors vides de Rio dans des plans très larges, accompagné par un bruitage hyperréaliste qui anticipe le concept de sound desgin contemporain. Pareil pour le vol au musée dans la séquence d'ouverture, ou ce jeu entre la mort d'un des personnages remplacée par l'effondrement du jeu de quilles à son effigie. Moments étonnants de suspension dans un film qui tient pourtant à sa santé comique et ses rebondissements, orchestrés au scénario par un maître en la matière, Jean-Paul Rappeneau, épaulé pour l'occasion — curiosité — par Ariane Mnouchkine, qui troqua ensuite le soleil brésilien pour celui de son Théâtre.
Christophe Chabert
L'Homme de Rio
De Philippe De Broca (1964, Fr-It, 1h52) avec Jean-Paul Belmondo, Françoise Dorléac...
Au Cinéma Lumière, du 12 au 16 juin