Débuts balbutiants de la Biennale de la danse : seules les expérimentations d'Emmanuel Gat et les acrobaties virtuoses de XY nous ont mis un peu de baume au cœur cette semaine.Jean-Emmanuel Denave
La puissance de narration, à partir d'images et de sons, appartient depuis longtemps au cinéma (de fiction ou documentaire). On peut le regretter ou non, mais force est de le constater. Il y a conséquemment quelque chose de tragi-comique à voir certains plasticiens, metteurs en scène ou chorégraphes s'échiner à vouloir nous raconter des histoires ou à concurrencer les modes de narration cinématographiques. On a de l'empathie pour un Thomas Ostermeier frustré de ne pas être Rainer Werner Fassbinder (ce qui ne l'empêche pas de faire régulièrement figure d'intouchable dans ces pages), et l'on a souffert à la Maison de la danse de voir le chorégraphe Lloyd Newson mimer un Ken Loach...
Chez le metteur en scène allemand comme chez le chorégraphe australien, le plateau tourne : gimmick mimant le "ça tourne" du cinéma, mais n'empêchant pas les choses de tourner en rond, même si les mots sont rudes et les propos crus, jusqu'au plus infernal des cercles de l'ennui. Le récit bavard de John est tissé de témoignages réels et passe de situations sociales dramatiques à de sordides échanges "érotiques". Les danseurs ont beau gesticuler avec quelque talent, la scénographie être réglée au cordeau, cette pièce demeure toujours en-dessous : en-dessous des puissances propres du théâtre ou de la danse, en-dessous d'un bon documentaire ou d'un bon Ken Loach.
Fragments, firmament...
On espérait renouer avec la danse en découvrant les nouvelles créations du Ballet de l'opéra mais les hurluberlus très attendus François Chaignaud et Cécilia Bengolea signent une pièce sur pointes fade et sans inspiration, et Jiri Kylian transmet un opus ampoulé et trop expressionniste à notre goût... Seul Emmanuel Gat sauve l'honneur avec sa création Sunshine. Une pièce courte évoluant sur une bande son "déceptive", composée de répétitions de l'orchestre de l'Opéra. Travaillant à partir de processus dont s'emparent eux-mêmes les danseurs, Gat développe une écriture chorégraphique singulière : précise, délicate, infime parfois, et aussi fragmentée, dispersée, éclatée... On dirait presque de la danse avant la danse (au sens d'une construction finie, unifiée, cohérente), une danse faite de copeaux de danse et qui s'enflamme ici et là sur scène, s'étouffe ailleurs, renaît de ses cendres plus loin. Nous ne sommes pas très éloigné ici des improvisations du jazz ou d'une littérature moderne de la dispersion et du fragment.
Rien d'improvisé ni de dispersé en revanche avec la compagnie de cirque XY, qui fait s'élever indéfiniment les portés de ses vingt-deux acrobates et se complexifier les trajectoires les plus périlleuses. Il n'est pas encore minuit... n'a aucun fond mais fascine par sa forme et sa virtuosité. De temps à autre, et en attendant un peu plus d'intensité artistique, c'est agréable.
Biennale de la danse
Jusqu'au mardi 30 septembre