La curiosité était immense, l'attente aussi. Allex Ollé et sa Fura dels Baus allaient-ils, avec "Le Vaisseau fantôme" de Wagner, reproduire un miracle à l'Opéra de Lyon ? Sans conteste oui.Pascale Clavel
A l'époque où Wagner compose Le Vaisseau fantôme, en 1843, l'opéra est le lieu de questionnements sur l'invisible, sur l'univers, sur l'homme et ses quêtes insensées. Nous sommes en plein règne de l'opéra italien, dont les héros se nomment Rossini et Donizetti. Le compositeur adulé à Bayreuth est alors âgé de trente ans. Il observe le genre et s'apprête à le révolutionner. Les ingrédients posés dans cet opéra-là, qui l'a vu devenir accessible, vont en effet définir pour toujours ses obsessions : l'univers hostile, la solitude, l'amour libérateur, la rédemption – celle du Hollandais maudit, condamné à errer éternellement sur les océans pour avoir défié Dieu, et dont le salut est soumis à la conquête de la fidélité d'une femme, dans laquelle il ne peut se lancer qu'une fois tous les sept ans. Si bien qu'aujourd'hui encore, rien ne rivalise avec sa poésie quasi mystique.
Wagner, ce contemporain
Si ce spectacle fascine du début à la fin, c'est parce que, dès l'ouverture, Alex Ollé nous donne une gifle. Rincés par la tempête, pris dans la tourmente, on se retrouve exactement en pleine mer, au milieu des vagues, battu par un vent force 12. Voilà l'exploit du metteur en scène : mettre les prouesses techniques les plus pointues au service d'un réalisme fou. Ce bateau échoué, rouillé, d'où sortent des morts-vivants de toutes textures, est prêt à nous avaler, les vagues à deux doigts de nous engloutir. Dans ce chaos flottent quelques branches auxquelles se rattraper : les chœurs, dans une chair que nous connaissons et qui nous rassure, la nôtre. Tandis qu'Ollé nous emporte dans cet univers angoissant mais d'une résonnance toute contemporaine, Kazuchi Ono livre un magnifique travail avec l'orchestre, imposant une lecture tour à tour toute en tendresse et toute en puissance, avec à chaque fois une justesse temporelle extraordinaire. Les cuivres envoutent comme jamais, les cordes empoignent chaque phrase avec profondeur et légèreté mêlées. Coté solistes, la distribution est dominée par Falk Struckmann, qui brosse un portrait convaincant d'un Daland (père de Senta, éprise du Hollandais et de sa légende) cynique et sans humanité. Le Hollandais errant est lui interprété par Simon Neal, baryton inspiré qui joue à merveille ce colosse perdu à la voix presque blanche. Belle présence scénique enfin pour Magdalena Anna Hofmann (Senta), qui n'a cependant guère convaincu sur le plan vocal : quelques aigus rebelles, des vibratos pesants... Le chœur est quant à lui remarquable d'unité et de justesse : à l'applaudimètre, le public ne s'y est pas trompé.
Le Vaisseau fantôme
A l'Opéra de Lyon, jusqu'au dimanche 26 octobre