Bien sûr, il y a les touristes, les hôtels plus onéreux que jamais et les capitalistes d'un week-end sur Airbnb. Mais la Fête des lumières de Lyon est aussi l'occasion de découvrir de jeunes talents. Celui du duo Theoriz n'est plus à démontrer. Après nous avoir fait joué à Pac-Man sur une façade et donné vie à la Fresque des Lyonnais, il investit les voûtes sous Perrache. Rencontre avec ce tandem pour qui la Fête a été un véritable tremplin. Nadja Pobel
À moins d'y habiter ou de fréquenter la précieuse école de graphisme Emile Cohl, il est rare de passer par la place Sainte-Anne, planquée derrière la gare de la Part-Dieu dans le 3e arrondissement. Pourtant, par un soir de décembre 2011 (autour du 8), de nombreux lyonnais s'y sont donnés rendez-vous pour jouer à Pac-Man sur une façade, à l'invitation de deux jeunes étudiants. D'un simple mouvement vertical ou horizontal de la main, chacun pouvait orienter le parcours de la tête gloutonne. Coup d'essai et coup de maître : la Fête des Lumières, souvent grandiloquente et trop impériale, devenait ludique.
Moitié de ce duo nommé Theoriz, David-Alexandre Chanel admet bien volontiers que cette participation les a lancés dans le bain, lui et son complice Jonathan Richer – l'installation a depuis voyagé, dernièrement jusqu'à Riga et à Gdansk en janvier prochain. Au départ, avant même de penser à la Fête, Jonathan et David avaient cette idée, «un peu terroriste», rigolent-ils, de récupérer un Pac-Man programmé en flash puis de «se promener avec un projecteur sous le bras et une batterie pour y jouer n'importe où dans la rue». Plus institutionnel mais pas moins récréatif fut ce Pacmanize me qui leur a permis de se faire les dents alors qu'ils fréquentaient encore l'École supérieure chimie physique électronique de Lyon. Là-bas, ils étaient déjà investis dans l'événementiel et le VJing (au point de se voir confier en mars 2011 la scénographie d'une soirée Jarring Effects) et n'envisageaient pas une seconde que la Fête des Lumières puisse être un tremplin.
Murs sensibles
C'est pourtant logiquement qu'ils participent l'année suivante aux festivités, en s'installant place Bahadourian avec un projet de mapping. Dès lors, l'international s'ouvre à eux avec un premier déplacement au Festival de lumières de Jérusalem en 2013 (où ils sont retournés cette année). 2014 les a aussi vus embarquer dans le convoi lyonnais parti vendre à Dubaï son savoir-faire à un géant de l'immobilier et marquer de leur empreinte les festivités du 25e anniversaire de la Révolution silencieuse à Leipzig. Jonathan et David ne se focalisent toutefois pas exclusivement sur ce type d'événements, qu'en bons gones ils ont connu avec des lumignons aux fenêtres. Cette activité n'occupe en effet que la moitié de leur temps.
L'autre, ils la consacrent au VJing (pour le festival Elekt'Rhône par exemple, au Transbordeur les 12 et 13 décembre prochains), tentant dans cette optique d'approcher des structures comme le label électro Ed Bangers, à l'invention de shows mêlant robotique et danse (notamment lors de la dernière Biennale d'art contemporain) et, plus généralement, au développement de nouvelles technologies d'interaction (tel un dancefloor augmenté). Ils ont à cet effet créé en mars leur société, la SARL Theoriz, logée au Pôle Pixel de Villeurbanne, d'où ils préparent même des formations pour des écoles d'ingénieurs, d'architectes ou de design. Le tout à seulement 26 ans.
Lyon, ses fresques, son cinéma
Dire qu'ils doivent tout à la Fête des Lumières serait sans doute exagéré, mais leur première participation leur a mis le pied à l'étrier. Fidèles à la manifestation, ils étaient l'an dernier associés à la Fresque des Lyonnais, concept le plus marquant de l'édition 2013 (avec le très avant-gardiste Grid des Berlinois Christopher Bauder et Robert Henke à l'Hôtel de Région). Sur cet espace inexploité jusqu'alors, ils racontaient en projections la vie de quelques-unes de ses figures, sous la houlette de Laurent Lhuillery et Gilbert Coudène, directeur de la très importante société de murs peints Cité-création. Une oeuvre très originale grâce à laquelle ils s'adjugèrent le Prix des partenaires de la manifestation, ratant de quatre voix celui du public, décerné à Damien Fontaine pour son travail place des Terreaux.
C'est précisément là que seront, en partie, les Theoriz cette année, intégrés à la même équipe que pour la Fresque (voir ci-contre). Mais le rendez-vous majeur pour les deux garçons se situera sous les voûtes de Perrache, mises en lumière pour la troisième année consécutive et où ils proposeront un Voyage cinématographique. Déjà "jouée" à Dubaï en janvier mais adaptée et retravaillée pour l'occasion, cette longue vidéo se déploiera sur 100 mètres de longueur et 3, 60 m de hauteur. À chaque extrémité du tunnel, un gros projecteur des années 30 donnera le ton, et surtout le son, celui d'un roulis de pellicule, tandis que dix-huit vidéoprojecteurs (contre onze aux Terreaux !) jalonneront cet hommage au cinéma, de ses prémices muets à aujourd'hui. Un personnage traversera ainsi les différentes séquences, assurant la transition entre le 7e art d'hier, l'animation et des films contemporains plus futuristes. Les planches animées réalisées avec les copains de BK (studio de création de contenu visuel), avec lesquels ils ont travaillé de nombreuses fois déjà, sont magnifiques, affichant un souci du détail trop souvent négligé dans cette manifestation de grande ampleur. Cette installation supposant à la fois de conduire un récit et de favoriser la mobilité du spectateur, la gageure de cette entreprise résidera cependant dans la maîtrise du rythme de défilement des images. Nous faisons d'ores et déjà le pari de sa réussite.
Fête des Lumières
Du vendredi 5 au lundi 8 décembre