En à peine plus d'une heure, sous la direction de Richard Brunel, Sandrine Bonnaire offre une poignante seconde naissance à l'auteur Samira Sedira. Avec "L'Odeur des planches", la précarité du métier de comédien devient une réalité concrète.
D'abord, il y a ce plaisir de voir une comédienne parmi les plus familières et attachantes de son époque fouler un grand plateau de théâtre, seule, pour nous raconter une histoire qui la met dans le même état de rage que le personnage qu'elle incarnait à 15 ans, tenant tête à son Pialat de mentor. Sandrine Bonnaire résiste. Elle donne du cœur à un cri, celui de Samira Sedira, auteur de ce texte, L'Odeur des planches, «le plus autobiographique» dit-elle, publié en 2012 aux éditions du Rouergue.
Alternant souvenirs historiques – ceux de ses parents débarqués d'Algérie dans les années 60 – et un vécu contemporain qui débute par la fin de ses droits Assedic et l'obligation pour elle de trouver un travail alimentaire, elle donne du rythme et de la force à son récit. Devenue femme de ménage, elle voit dans ce déclassement social une occasion de se rapprocher de sa mère qui, elle aussi, à dû combattre la solitude et se résoudre à ce métier. Finie la litanie des théâtres visités qu'elle récite comme un pensum, la voilà seulement définie par son corps, éreintée par cette tâche aride et dépourvue de toute pensée.
Une «dépossession» de soi décrite avec des mots crus, une langue concrète, qui permet à Sandrine Bonnaire de prendre toute sa place sur le plateau et de s'exprimer en plein, simplement arrimée à une table ou dans des fauteuils de salle de spectacle, renvoyant ainsi le spectateur à son propre rôle : créer un dialogue, fut-il passif, avec les acteurs pour ne pas qu'ils s'assèchent. Le dédain, le mépris, la condescendance dont est victime la narratrice sont dévastateurs sur cette femme qui pourtant avait connu les hautes sphères du théâtre public, jouant sous la direction de Jacques Nichet ou Christophe Perton, au TNP ou à Avignon.
Richard Brunel, qui a eu l'heur de monter ce texte poignant, offre à l'auteur une renaissance et au spectateur une puissante chronique de la précarité du métier de comédien autant qu'une émouvante histoire de filiation et d'immigration.
Nadja Pobel
L'Odeur des planches
Au Théâtre de Villefranche mardi 5 et mercredi 6 mai
Á l'Atrium de Tassin samedi 9 mai