Bordalo II : « changer le monde et y prendre part est plus important que tout le reste »

Bordalo II : « changer le monde et y prendre part est plus important que tout le reste »
Peinture fraîche

Halle Debourg

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Street Art / Invité au festival Peinture Fraîche, l'artiste portugais Bordalo II fait voyager son bestiaire constitué de déchets pour dénoncer la surconsommation. Ses sculptures gigantesques représentent des animaux à l'aide de son bourreau de matériau : le plastique. Faisant de lui un artiste à part dans le milieu du street art, puisqu'engagé dans une cause qu'il semble défendre plus que ses propres œuvres.

Vous avez fait les beaux-arts à Lisbonne, comment s'est faite la transition entre les Beaux-Arts et le street art ?
Bordalo II : Le temps que j'ai passé dans l'espace public m'a appris à être à l'aise avec le fait d'avoir de la visibilité rapidement, j'ai ensuite pris conscience du potentiel de faire quelque chose que les gens vont voir et interpréter, c'est comme être une publicité mais avec de meilleures intentions. Le street art ou l'art urbain est très important, car il permet d'avoir une visibilité et accès au public. Quand vous avez de la visibilité, c'est nécessaire d'avoir un message, sinon c'est juste superficiel et pas pertinent.

Votre grand-père était peintre, que vous a-t-il enseigné que l'on peut retrouver dans votre travail aujourd'hui ?
Dans mon enfance, j'ai passé beaucoup de temps avec mon grand-père, Real Bordalo, qui était un peintre. Il a été une grande inspiration en tant que précepteur : la plupart des choses que j'ai apprises grâce à lui, et les valeurs qu'il m'a transmises se reflètent sur mon travail. Hormis ses aquarelles, son travail le plus connu, il a fait une série qui se rapproche du surréalisme avec des techniques spectaculaires, évoquant des sujets sérieux comme je le fais actuellement.

La surconsommation de plastique affecte profondément les animaux, vous avez d'ailleurs délaissé le graffiti pour les représenter avec des déchets plastiques.
La première grande pièce que j'ai réalisée en 2013 pour Walk&Talk à Azores s'appelait Big Crab. Le processus s'est installé naturellement. Je faisais des expérimentations avec des déchets dans différentes compositions, selon plusieurs thèmes, et à un certain point, cela a juste fait sens. Le plastique est un cancer pour l'environnement, c'est logique pour moi de représenter les animaux avec ce qui les tue.

Les Portugais consomment énormément de plastique, ils sont d'ailleurs les plus gros consommateurs de sacs plastiques en Europe...
Nous sommes accros au plastique, notre génération de manière générale l'est. On a été habitué par la société de consommation à utiliser des objets puis à les jeter. Son coût de fabrication est peu cher et il finance les compagnies pétrolières. Il faut comprendre que quand on ne recycle pas le plastique, il finit dans une décharge ou dans l'océan et met des centaines d'années à se décomposer. Quand j'ai commencé ce travail, le Portugal était en crise, au bord de la faillite, les entreprises fermaient en laissant derrière elles des lieux abandonnés, les gens cherchaient à revendre ce qu'ils pouvaient, et moi j'ai récupéré du plastique car personne ne s'y intéressait.

Comment choisissez-vous les matériaux avec lesquels vous travaillez ?
La majorité des déchets que j'utilise, je les trouve dans des décharges, des usines abandonnées ou au hasard, j'en obtiens d'autres par l'intermédiaire d'entreprises qui se sont engagées dans un processus de recyclage des déchets. Je ne passe pas énormément de temps à chercher des matériaux, sauf dans certains pays où le recyclage n'existe pas. Aujourd'hui, je n'ai plus beaucoup de temps pour les collecter, mais je suis toujours en veille, je guette les choses que je peux récupérer à droite à gauche.

Vous devez être très rapide lors de la conception dans la rue, cela doit être une performance spectaculaire à voir. Comment les passants réagissent quand ils vous voient à l'œuvre ?
Mon travail est sale, brut, et parfois je trouve des solutions juste en détruisant ce qui a déjà été fait. Je m'arrête quand je pense que la pièce possède assez d'expression, qu'elle a assez d'âme et que je sens qu'elle est vivante. En général, les passants aiment mon travail et j'espère que tout le monde comprend que je ne fais pas seulement quelque chose de beau avec des ordures, mais que j'attire leur attention sur les problèmes liés à la pollution et au gaspillage.

Comment préparez-vous vos pièces ?
La préparation est un mélange de techniques avec de l'assemblage. Le processus de création est naturel depuis le début de mes expérimentations il y a quelques années, quand j'explorais les possibilités des déchets en tant que matériaux pour différentes thématiques et compositions.

Je débute en choisissant un endroit, je fais des recherches sur les espèces animales locales, s'il y a certains problèmes les concernant, etc. Partout où je travaille, j'essaie de représenter les espèces locales en danger. Je me renseigne aussi sur les autres espèces, celles qui ne vivent pas dans la région, mais dans une autre région du monde, parce que le message est toujours global, mondial. Ensuite on collecte les matériaux, on les façonne, les courbe et on assemble sur le sol la pièce divisée en morceaux. Superposer le tout sur le mur et ajouter de la peinture pour les détails constitue l'étape finale du processus.

Vos œuvres sont destinées à nous faire réfléchir, vous considérez-vous comme un "artivist" ?
Mon but est de vous faire réfléchir à ce qui se cache derrière les couleurs, les formes, et l'image dans son ensemble. Il s'agit d'un mélange d'images subliminales grâce auxquelles j'évoque la façon dont nos habitudes sont en train de détruire la planète, la nature, les animaux, en fait, notre habitat. Je veux avoir un dialogue avec le public, parce que communiquer avec la société et partager des idées est utile. Changer le monde et y prendre part, avoir un rôle actif est plus important que tout le reste. Je suppose que je suis un "artivist".

Vous exposez en ce moment dans une galerie à Paris, quelle est votre approche quand vous exposez dans ce type de lieu ?
Dans un dispositif de galerie, je suis capable de visualiser le travail et de produire chaque série pour un spectateur qu'il faut appréhender de façon différente que le passant. J'ai beaucoup de séries très variées, et la plupart des gens qui ont vu mon travail dans la rue ne les connaissent pas. Dans une galerie, je suis capable de mettre en valeur cette variété et de contrôler l'expérience de la visite exactement là où j'ai envie qu'elle aille. C'est également intéressant pour moi de créer une exposition pour des gens venant de différents pays et cultures.

Peinture Fraîche
À la Halle Debourg du vendredi 3 au dimanche 12 mai

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