Littérature / Deux ans après son très beau "Un Loup pour l'homme", Brigitte Giraud revient avec "Jour de courage", récit d'un coming-out adolescent où dans les plus terribles interstices de la grande Histoire se déploie un drame intime et brûlant. Un court roman dont la justesse n'a d'égale que la puissance.
« Là où l'on brûle les livres, on finit par brûler les hommes » écrivait Heinrich Heine en 1821 dans Almansor. Heine faisait référence à l'autodafé nationaliste de la Wartburg en 1817. Sans doute n'imaginait-il pas combien sa prophétie prendrait une effroyable tournure un siècle plus tard sous le régime nazi. Cette phrase, le jeune Livio, héros lycéen de Jour de Courage, la livre à sa classe, lors d'un exposé consacré au premier autodafé nazi, qui est en réalité bien plus que cela. Pour Livio une porte de sortie dont il soupçonne les conséquences sans les mesurer tout à fait.
L'autodafé en question a pour objet l'Institut de Sexologie fondé par Magnus Hirschfeld, connu comme le "Einstein du sexe", pionnier de la sexologie, grand défenseur de la cause homosexuelle et pourfendeur de l'article 175 du Code pénal allemand réprimant « les actes contre nature entre hommes » sur la base duquel des dizaines de milliers d'hommes furent emprisonnés et/ou déportés entre 1933 et 1945 – une disposition abolie en... 1994. Et si Livio a choisi ce thème c'est pour en faire en creux le support de son coming out devant sa classe, sa professeure d'Histoire et Camille, petite amie transie d'amour.
Quête d'identité
De cette matière, Brigitte Giraud tire un texte fort, d'une grande subtilité dans la description de la confusion des sentiments et les portraits adolescents (l'un de ses thèmes de prédilection parce que directement relié à la question de la quête d'identité), au plus près des corps et des palpitations de l'âme, au cœur battant de l'écosystème lycéen. À commencer par le tendre portrait en pointillé de Livio – adolescent tourmenté par son secret – au cours notamment de magnifiques scènes clés en milieu familial (l'impossibilité d'une relation avec le père et ses injonctions à la virilité, l'aveuglement de la mère, l'irruption occasionnelle mais impérieuse de l'homophobie ordinaire) insérées comme des coins dans le présent de l'exposé.
En un texte court, presque à l'os, quasiment en temps réel, l'autrice, ce n'est pas le moindre des tours de force du livre, fait monter avec une grande douceur la tension qui gagne la petite assemblée au fur et à mesure que l'évidence se précise, que l'on comprend ce qu'elle ne voulait pas voir. Tout en semant les graines du futur drame à venir : celui d'un adolescent consumé par les lendemains de son jour de courage. Brûlé à sa propre flamme.
Jour de courage (Flammarion)