Sonic, Boomrang : les prog' underground en péril à Lyon

Survie / Rock indé, hyperpop et shows drag : des structures proposant des programmations underground sont menacées d'extinction à Lyon.

« On a commencé que tous les deux, on n'avait pas de service d'ordre, rien, c'était épique », se remémore avec attachement Thierry Vignard, qui a fondé le légendaire Sonic en 2006 avec son compère de toujours, Stéphane Bony. Rock indé, ambient, coldwave, new wave, dark eighties, premiers shows drags : la petite péniche rouge amarrée quai des Étroits n'a plus cessé de vibrer au son de groupes confidentiels et moins confidentiels (Desireless deux soirs de suite !). « On cherchait à pérenniser un lieu, et on avait passé l'âge d'ouvrir un squat » détaille Thierry Vignard. Ils ont commencé par louer la péniche, l'ont retapée un peu, et ont fini par la racheter il y a dix ans, au décès de son propriétaire. L'économie du projet restait fragile : le bateau nécessitait des investissements réguliers et le public ne venait que pour les soirs d'événements, rarement pour boire une bière, la faute au quartier peu attractif. Un quartier qui leur a posé d'autres problèmes. Avec pas moins de deux fermetures administratives à son actif, le Sonic a un temps été dans le viseur des services d'écologie urbaine de la Ville de Lyon (durant l'ère Collomb). Un antagonisme qui aurait disparu après le changement d'exécutif, mais qui aura permis de prendre le pouls de l'attachement des Lyonnais au Sonic : ils et elles se mobilisèrent en nombre pour soutenir leur péniche de rock préférée.

Nouvelle tempête pour le Sonic

Aujourd'hui, on pourrait croire que le Sonic a fait le plus dur, embauchant six équivalents temps plein et allant jusqu'à se faire reconnaître par les institutions et collectivités, sans rien perdre de ses partis pris. Le Sonic est membre du label Scènes découvertes de la Ville de Lyon et touche une subvention de 30 000 euros par an de la Ville de Lyon, « ça paye une technicienne son et la deuxième programmatrice qui est aussi attachée de prod », détaille Thierry Vignard.

Un ombre assombrit le tableau : ils doivent encore rembourser l'achat de la péniche durant quatre ans. Cependant, celle-ci ne passera pas son prochain "contrôle technique", en juillet 2025. « Il faudrait refaire tout le fond du bateau. Ça nous coûterait 250 000 euros... ce que nous a coûté la péniche à l'achat », soupire Thierry Vignard. Acculés, les deux instigateurs du lieu ont commencé à solliciter les collectivités ainsi que certains services déconcentrés du ministère de la culture. « S'il s'agissait seulement de quelques milliers d'euros, on lancerait une cagnotte, mais là... On va avoir besoin d'un vrai coup de pouce », s'inquiète Stéphane Bony.

Organisation collective et culture pour tous

C'est sans doute car ils n'ont besoin "que" de 10 000 euros que le Boomrang — immeuble artistique situé rue de l'Épée en plein quartier Guillotière — a lancé en première instance une cagnotte qui avoisine déjà les 2 580 euros. L'ancien café algérien accueille des propositions culturelles OVNI depuis 2016. À l'époque, c'était la Taverne Gutenberg (portée par la graphiste Maïa D'aboville et le peintre Henri Lamy) qui avait accueilli résidences d'artistes et expositions, avant de laisser place au Cartel en 2019 : un bar à cocktails qui avait gardé les résidences artistiques de ses prédécesseurs. En 2020, ce fut au tour du Boomrang de récupérer le lieu, signant un bail associatif avec le propriétaire qui cherchait parallèlement à s'en débarrasser. Quatre ans plus tard, l'immeuble n'a toujours pas été vendu, et le Boomrang vibre du mardi au samedi sans discontinuer. Huit résidences artistiques à l'étage et des soirées drag, électro, rap, danse, conférences, organisées par une équipe se revendiquant laboratoire de l'organisation collective. 

Un artiste en résidence au Boomrang ©Mathilda Saccoccio

 « On était deux à l'initiative du projet. La vingtaine, issues de l'univers du graffiti et de la rave, on voulait programmer du rap, des expériences esthétiques et sonores qui parlent à la jeunesse », se remémore Mathilda Saccoccio, aujourd'hui âgée de 27 ans.

Les quelques bénéficies du bar (associatif) et de la billetterie vont directement dans le loyer du lieu, pour le moins vétuste. « C'est une passoire, pour le son comme pour le chauffage », témoigne Mathilda Saccoccio. Années après années, les charges ont augmenté et le Boomrang a dû effectuer une étude d'impact sonore et s'équiper d'un limitateur pour 5 000 euros. « Le lieu est condamné à s'éteindre si on n'y met pas un minimum d'argent », témoigne-t-elle.

Le collectif ne s'est pour l'instant pas lancé dans la rédaction de dossiers de demande de subventions. « On vient des circuits alternatifs et underground. Les institutions ne nous connaissent pas, et nous manquons d'expertise », déclare-t-elle avant de reprendre, « ça fait quatre ans qu'on tient la baraque, qu'on fait émerger des jeunes artistes et vivre le quartier : on aurait besoin d'un coup de pouce ».

Comment l'underground peut-il subsister ?

Thierry Vignard se remémore : « Avant de se lancer, on a vu le Pez Ner mourir car très dépendant de la Ville de Villeurbanne, on a préféré miser sur l'autosuffisance ». 2003 fut une année terrible pour les scènes alternatives ou underground lyonnaises, avec la fermeture du Pez Ner mais aussi du Kafé Myzik. Peu après — et presque en réaction — naissaient le Grrrnd Zero, l'Épicerie Moderne et le Sonic. « C'était peut-être un tort de vouloir être trop indépendants, parce qu'on a quand même dû rentrer dans des cases contraignantes pour pouvoir survivre. On n'est pas une Scène de musiques actuelles comme le Périscope, on est un établissement recevant du public classé boîte de nuit, pourtant nos esthétiques sont proches », témoigne Thierry Vignard.

Une soirée au Boomrang ©Mathilda Saccoccio

Dans son ouvrage À l'arrache. Portraits et récits de la scène musicale underground de Lyon, 1980—2020 aux éditions Barbapop, Sébastien Escande raconte l'histoire des scènes souterraines de la ville, soulignant l'impact des squats culte de Lyon — parmi lesquels le Wolnitza ou le Rapetou — puis leur raréfaction, pour ne pas dire leur disparition. « Ouvrir des espaces de vivre ensemble, de création est de plus en plus difficile à Lyon », constate Mathilda Saccoccio qui cite l'ouvrage avant de reprendre, « tout doit être sécurisé, cadré, on pose un regard circonspect sur les contre-cultures, et c'est inquiétant. C'est dur de monter son projet, et il faut le faire seul(e), de bout en bout ». Elle évoque le caractère indispensable de ces lieux : « On accueille des jeunes de tous horizons, en continu. Ce n'est pas le cas de la plupart des grosses institutions de la métropole. » 

Sollicitées par Le Petit Bulletin, la Métropole n'a pour l'instant pas répondu à nos questions, tandis que la Ville de Lyon a déclaré que « les services de la délégation culture suivent attentivement et travaillent sur ces deux sujets ».

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