Festivals de littérature / Avec la fin abrupte de la Fête du livre de Bron, et les différents signaux alarmants envoyés par d'autres événements littéraires de la métropole, la question du maintien du rayonnement littéraire lyonnais et grand-lyonnais se pose.
La fin de la Fête du livre de Bron a résonné comme sonne le glas ; funestement. Le 9 octobre dernier, l'association Lire à Bron a voté sa propre dissolution. Après 39 éditions, le festival à portée nationale (40 000 visiteurs par an) et fondé en 1987 a choisi de s'arrêter, contraint par des montages économiques de plus en plus précaires. Yann Nicol était directeur de l'événement et de ses projets satellites (une programmation de saison et un média) depuis dix ans. Il a évoqué précautionneusement les raisons qui ont poussé l'association à cesser ses activités : « On a essayé de trouver des solutions, mais aucune ne semblait viable ».
La Fête du livre de Bron était l'un des premiers festivals de littérature (à ne pas confondre avec les salons du livre, qui s'apparentent plutôt à des foires aux livres) au moment de la structuration du modèle dans l'hexagone, avec la Fête du livre jeunesse de Saint-Paul-Trois-Châteaux (1983) ou, plus tard, les Correspondances de Manosque (1999). Des initiatives qui visaient à valoriser la littérature « à une époque où on observait un affaiblissement du rôle prescripteur de la presse et une propension accrue des médias à suivre les tendances du marché de crainte de se marginaliser » peut-on lire dans l'article de Gisèle Sapiro, Myrtille Picaud, Jérôme Pacouret et Hélène Seiler-Juilleret (en entretien ci-contre) et paru dans la revue fondée par Pierre Bourdieu, Actes de la recherche en sciences sociales.
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L'émergence des festivals de littérature a été dissemblable à celle des festivals de musique par exemple, car dès leur Genèse, ceux-ci répondaient à des exigences de gratuité, d'accueil inconditionnel, de médiation... On peut envisager que c'est la raison pour laquelle « il eût été très difficile — à partir du moment où l'événement existe — de prendre des décisions qui auraient dégradé le festival dans ses méthodes, son installation ou ses objectifs », a témoigné Yann Nicol, interrogé sur l'éventualité de mener une Fête du livre de Bron réduite.
Les collectivités mises en cause
C'est évidemment du côté des moyens investis que le bât blesse, à l'instar de nombreux autres événements culturels, en France et dans la métropole, la Fête du livre de Bron a subi de plein fouet la hausse des coûts. « Les festivals du livre sont globalement plus fragiles que dans d'autres secteurs culturels comme les musiques actuelles », peut-on lire dans un article de Nectart, revue explorant les mutations culturelles et digitales de la société. Bien moins coûteux que les événements nécessitant des installations d'envergure — le premier poste de dépense de la plupart des festivals de littérature est la rémunération des autrices et auteurs — leurs montages économiques supportent bien plus difficilement les fluctuations. La Ville de Bron se défend cependant d'avoir diminué la subvention octroyée à Lire à Bron : « Depuis 2020, la Ville a constamment apporté son soutien financier à l'association Lire à Bron, [...] soit 210 000 euros de subvention annuelle (pas de baisse prévue) sans compter l'engagement humain, ce qui représente au total 250 000 euros (la moitié du coût de la manifestation). » Une posture qui n'a pas satisfait l'opposition municipale de Bron, qui s'est exprimée par voie de communiqué, fustigeant au passage l'ensemble de la politique culturelle menée par Jérémie Bréaud (maire LR de Bron) : « Depuis l'élection de monsieur Bréaud, un certain nombre d'événements culturels ont disparu. Bron ne participe plus à la Biennale de la danse, la manifestation artistique Célébron à Terraillon a disparu, et le cinéma a été privatisé. »
Le festival — qui n'a pas directement pointé du doigt son premier financeur — a tout de même évoqué dans son communiqué « une surenchère de demandes de la part des collectivités publiques. Faire ici un prix, ici une médiation culturelle, ici un projet régional, ici un projet métropolitain, alors que les ressources humaines n'augmentent pas, que l'on ne peut pas recruter ».
La transmission en déclin
Lucie Campos est directrice de la Villa Gillet depuis 2020, maison internationale des écritures contemporaines. Il s'agit d'un acteur majeur du livre sur le territoire, et ce depuis 37 ans. Il organise (entre autres) deux festivals, et, toute l'année, des rencontres (classiques ou transdisciplinaires) avec des auteurs ainsi que des actions de médiation sur le territoire.
« Je suis arrivée à mon poste dans une atmosphère florissante. Je ne retrouve plus cette impression de printemps culturel. Je vois des directeurs qui partent, des associations qui se dissolvent : j'ai peur d'un brain drain, d'un départ des énergies alors qu'initialement nous étions un des territoires les plus riches en la matière », a témoigné Lucie Campos, avant d'évoquer l' « énorme » enthousiasme des publics : « Nous observons un fort besoin de grain à moudre. Nous sommes dans une année électorale [aux États-Unis ndlr], une année où les questions de constitutionnalité, les questions des frontières, des formes du débat politique sont brûlantes. On n'a jamais eu autant besoin de discussion d'une part, mais aussi besoin d'imaginaire d'autre part, qui peut en partie être comblé par la fiction littéraire. »
Une mission que la Villa Gillet tente de remplir avec des moyens particulièrement réduits, notamment depuis 2022, année où la Région (à l'époque présidée par Laurent Wauquiez) a supprimé la subvention annuelle de 350 000 euros allouée à la structure. « Cet argent soutenait notamment les actions sur le territoire de la région. Nous proposions des actions et faisions venir des auteurs dans 80 lycées généraux, techniques, agricoles et professionnels de la région, à Romans-sur-Isère, à Chambéry... Nous n'avons même plus les moyens d'affréter des autocars », a décrit Lucie Campos. Une déperdition tragique à laquelle se joint aujourd'hui celle de la fin de Lire à Bron. On peut citer le prix Summer des collégiens qui faisait venir des comédiens, critiques littéraires auteurs et journalistes dans neuf classes du territoire ou le programme La route des libraires, qui envoyait des auteurs invités dans des librairies indépendantes de toute la région, en Loire, Drôme, Savoie et Isère. « C'était une manière de faire commun autour de la littérature. Cela ne manquait jamais de susciter le dialogue, d'éveiller la curiosité et l'envie d'en découvrir plus », a témoigné Yann Nicol.
Nouvelles solidarités
« Pour tenir le coup, on essaye de multiplier les partenariats », a déclaré Sylvain Guillot, directeur de la Maison du livre, de l'image et du son qui coordonne l'organisation de la Fête du livre jeunesse de Villeurbanne (entre 25 000 et 30 000 visiteurs par an). Même s'il n'est nullement remis en question par la municipalité, l'événement n'a pas vu ses moyens évoluer depuis une dizaine d'années. Sylvain Guillot a évoqué un partenariat avec l'auditorium de Lyon mais aussi l'accompagnement de la Villa Gillet sur une partie de la programmation de la prochaine édition du festival. Une collaboration dont celle-ci se réjouit, tout en y apportant de la nuance :
« La Fête du livre jeunesse de Villeurbanne se tourne vers nous à un moment où ils n'ont plus choisi de recruter de directeur-programmateur. Nous acceptons, car nous développons depuis 2020 la littérature jeunesse, mais cela ne pourra compenser l'absence d'une équipe de programmation », a détaillé Lucie Campos.
Côté romans graphiques, le Lyon BD Festival (160 000 visiteurs en 2023) a aussi vécu une « crise de croissance » en 2024. L'ancien directeur du festival Nicolas Piccato avait tiré la sonnette d'alarme dans un entretien accordé à Livres Hebdo, abordant la baisse de la subvention régionale, la hausse des coûts, le tout dans un contexte de changement de direction... qui les a amenés à alléger leur programmation.
Il est donc possible que les solidarités et partenariats ne suffisent pas, et que le territoire finisse par s'appauvrir durablement. « Il faut reconnaître les singularités de nos modèles », a déclaré Lucie Campos : « Les théâtres sont rassemblés sous la bannière des CDN ou des scènes nationales. Nous devons réinventer et négocier l'existence même de nos projets », a-t-elle conclu.