«Lyon, le 21 décembre 1943. Ma chère petite fille, une même lettre de douleurs parviendra à ma chère Maman et mon cher Papa, ainsi qu'à ma Petite Sœur, soyez courageux car ce soir j'aurai payé de ma vie le peu de sacrifices que j'ai donné pour la France. Embrasse bien ta mère et Roger pour moi. Préviens toute ta famille, ma dernière pensée sera pour toi et mes parents. Quelques larmes tombent sur ma lettre, elles sont le dernier cadeau que je puisse t'offrir pour nos 39 mois de mariage. Pauvre chérie tu es bien jeune et ta peine sera cruelle. Je te demande d'avoir une pensée pour moi dans tes prières. Dieu ne m'a pas abandonné jusqu'ici et dans quelques instants je pourrai entendre la messe et communier. Je t'aime et je t'embrasse de tout mon cœur et sois heureuse et refais ta vie. Pense bien à notre petite Georgette et à toute la famille de Savoie. Embrasse-les. Je t'aime. VIVE LA FRANCE».
Résistant arrêté, Henri Mazuir a, comme de nombreux prisonniers, eu la possibilité grâce à un aumônier d'écrire une dernière lettre (ici au crayon à papier) à sa famille quelques heures avant d'être exécuté. De sa cellule de Montluc, il s'apprêtait à payer le prix fort pour avoir contribué à la diffusion du journal du mouvement résistant des Francs-Tireurs auquel il appartenaitt. Il sera fusillé sur le stand de tir du camp de la Doua à 24 ans.
Des lettres de ce genre, préalablement visées par les services de censure, ont été lues lors de la Libération. Aujourd'hui celle-ci figure, avec deux photos du défunt et un cadre fabriqué par sa famille renfermant son avis de décès, au Centre d'Histoire de la Résistance et de la Déportation, dont la mission première est de transmettre la mémoire de ceux qui ont connu la Seconde Guerre mondiale mais ne sont plus là pour en parler (trente témoignages audio essaiment l'exposition permanente, sur les 700 collectés !).
Problème : les événements ayant désormais soixante-dix ans, les voix des témoins sont moins nombreuses qu'il y a vingt ans à l'inauguration des lieux. L'histoire ne se transmettant plus par la voie familiale, faute de survivants, il fallait donc «revenir aux fondamentaux», comme l'explique la directrice Isabelle Rivé-Doré. «Il y a eu le temps du souvenir puis de la mémoire. Aujourd'hui nous sommes dans le temps de l'histoire».
L'après-procès Barbie
Le 15 octobre 1992, le projet d'évolution mené sans relâche par l'Association des amis du musée de la Résistance et de la Déportation, qui existe depuis 1965 dans une salle du Muséum d'histoire naturelle, aboutit : le CHRD ouvre ses portes, cinq ans après la condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité de Klaus Barbie par la cour d'assises du Rhône pour crimes contre l'humanité, au terme d'un procès à l'audience retentissante.
Quoi de plus pertinent pour poursuivre la réflexion entamée que de l'installer là où la Résistance a tant été mise à mal ? Avenue Berthelot, accolé à l'institut de Sciences Politiques, il prend place dans les murs de l'ancienne école du service de santé militaire (désormais à Bron), devenue siège de la Gestapo en 1943 et où tortures et exécutions sommaires furent perpétrées sur ordre du lieutenant Barbie.
Parmi les victimes, Marc Bloch, historien médiéviste, co-fondateur avec Lucien Febvre de la fondamentale revue de l'école des Annales (qui complète l'histoire politique et militaire par une approche empruntée aux sciences sociales). Son évocation, en introduction de l'exposition, via la présence de son bureau, permet au CHRD de parler au travers du destin d'un seul homme du lieu (il y a été torturé), de l'action de résistance, du patriotisme et de l'importance du travail des historiens. Soit tout ce que développe la nouvelle mise en espace des salles suivantes.
Obscur clair
Si auparavant, la muséographie était sombre et immersive, imitant des murs balafrés, il est aujourd'hui pratiquement impossible de croire que cette exposition se trouve dans les mêmes locaux que la précédente. L'espace est clair, les fenêtres ne sont plus obstruées et l'axe même de l'exposition a changé. La guerre est désormais vue par le prisme de Lyon.
En intitulant le parcours «Une ville dans la guerre», il ne s'agit bien sûr pas pour le comité scientifique d'occulter ce qui se passe ailleurs mais de rappeler la place qu'a tenue Lyon au cours de ces années noires. Principale métropole de la zone sud non-occupée, Lyon fut en effet une «capitale de la Résistance», ainsi que la désigna le général de Gaulle en 1944. C'est là que s'installèrent les principaux mouvements de résistance (Francs-Tireurs, Combat et Libération) et que Jean Moulin, parachuté dans les Alpilles en janvier 1942 (un morceau de sa toile de parachute rappelle cet épisode), les unifia à la demande du Général.
Lyon fut aussi un point névralgique de l'impression et de la diffusion de journaux de propagande grâce à une étonnante concentration de compétences. La ville vit ainsi des hommes prendre des risques insensés pour tenter de faire basculer l'opinion publique, à l'image de la spectaculaire diffusion, le 31 décembre 1943, d'une fausse édition du journal vichyste Le Nouvelliste appelant à la Résistance.
Outre ces faits connus (mais qu'il est toujours nécessaire de rappeler), l'exposition fait place à des recherches historiques récentes portant sur l'appareil de répression ou le sort des malades mentaux parqués au Vinatier. 2000 patients y mourront de faim pendant la guerre, 45 000 en France, dont la mère biologique de l'écrivain Charles Juliet, dans l'Ain, comme il le raconte précisément dans Lambeaux.
Écouter et voir
Pour rendre vivant cette somme de connaissances, le musée évite l'écueil du didactisme et des interminables panneaux informatifs. Bien que chapitré et chronologique, le lieu se parcourt au gré des envies, sans passage en file indienne. Et il est truffé de témoignages visuels et audio. Les clichés d'Émile Rougé sont des trésors car dégainer un appareil photo pour saisir l'arrivée des Allemands signifiait se mettre en péril tant il fallait être proche du sujet pour le saisir correctement.
La période de la Shoah est très peu imagée mais est représentée par des reliques telles qu'un pyjama de prisonnier avec matricule ou un chapelet de boulettes de mie de pain qui, ayant miraculeusement traversé les décennies, dit le sacrifice et la douleur : se priver d'une infime portion de nourriture reçue pour trouver le seul Salut possible, Dieu. Les photos des arrestations et des rafles, elles, sont quasi inexistantes. Ce sont donc des dessins et peintures (notamment de Jean Couty) qui rendent compte de cette réalité. Un drapeau du Reich trône aussi dans l'exposition. Et s'il interpelle évidemment aujourd'hui, «c'était un objet du quotidien» comme le rappelle Claude Bloch, rescapé d'Auschwitz.
Enfin, juste avant les objets de la précédente exposition (la reconstitution d'un appartement d'époque et la presse de l'imprimerie clandestine de la rue Viala), défilent les noms, âges et adresses des 80 000 déportés de la Shoah. Il faut vingt-quatre heures pour que la liste s'épuise... Un chiffre édifiant qui corrobore ce que Lucie Aubrac livra dans un témoignage écoutable au musée. Elle y évoque les Jeux Olympiques de Berlin en 1936 où elle s'est rendue à l'âge de 24 ans : «on a pris Hitler pour un pantin, un sous-Mussollini. On l'a sous-estimé. C'est pour ça qu'aujourd'hu dans ma vie quotidienne je suis si attentive aux marques de racisme». Et c'est pour que ces voix et cette évidence-là ne s'éteignent jamais qu'il est urgent de visiter ce nouveau CHRD.
Une ville dans la guerre
Exposition permanente au Centre d'Histoire de la Résistance et de la Déportation