En rendant aux femmes leur place majeure dans le conflit de 39-45, le CHRD propose avec "Pour vous, mesdames !" une exposition aussi passionnante qu'originale, où l'habillement raconte la douleur de la guerre et les petites combines pour continuer à vivre sous l'Occupation.Nadja Pobel
Depuis longtemps, le CHRD s'échine à montrer que la Deuxième Guerre mondiale ne s'aborde pas seulement par son histoire militaire et les terribles rafles, déportations et exterminations causées par le régime nazi (par ailleurs extrêmement bien relatées dans l'exposition permanente). Une démarche notamment liée à la disparition progressive des témoins de cette époque, qui rend de plus en plus nécessaire le recours à d'autres vecteurs concrets pour la transmettre.
En introduction de l'exposition temporaire Pour vous, mesdames!, Isabelle Doré-Rivé, la directrice du musée, explique ainsi que la mode était autant un moyen d'exister qu'un acte de résistance : «Les restrictions concernant le vêtement, écrit-elle dans le catalogue, richement illustré, sont plus mal perçues que celles concernant l'alimentation ou les combustibles car elles touchent en effet à l'intime, à la liberté même de se vêtir comme on le souhaite, selon ses moyens, et de marquer son appartenance sociale». Si, à cette aune, la première partie de l'exposition est agréable, quoique manquant de mise en perspective (y sont présentés des costumes de la série télévisée Un village français et des tenues de cinéma : robes de Romy Schneider dans Le Vieux fusil, de Carole Bouquet dans Lucie Aubrac...), c'est au sous-sol qu'elle donne du relief à ce sujet a priori futile, le long d'une déambulation dans les lieux où l'usage du vêtement se révéla : entreprise, podium, kiosque, habitat et espace public.
Quels que soient leur rôle et leur statut social, leur place en bas ou en haut de la pyramide sociétale, les femmes vont sous l'Occupation faire face à une restriction de tissu. Elle sera d'autant plus compliquée à gérer que les hivers de cette période furent particulièrement froids et les logis peu ou mal chauffés. En 1941, une carte de textile est ainsi instaurée par les Allemands (et sera maintenue jusqu'en 1949 !). Sur le modèle du ticket de rationnement alimentaire, elle est composée de plusieurs coupons détachables permettant de contrôler et réguler les achats. Car le textile se fait rare, l'Occupant réquisitionnant tout ce qui peut servir aux soldats : le cuir (un décret interdit son utilisation pour la fabrication de sac), le coton, la laine... Au titre des conventions d'armistice, la France doit en outre livrer près de 300 000 tonnes de matières textiles et fournira 82 000 tonnes de laine. Par ailleurs, les soieries sont pillées et les biens des commerçants juifs spoliés. En 1942, les femmes passent de fait quatre heures par jour à faire la queue pour se ravitailler en diverses denrées. La dentelle, non contingentée car d'aucun usage pour l'armée, devient alors une matière prisée servant à la couture de plastrons, chandails et robes de mariée (visibles dans des vitrines) jusqu'à épuisement de cette ressource.
«Une femme ingénieuse est une femme élégante» (Marie Claire)
A Lyon, le textile artificiel (il deviendra synthétique plus tard, avec l'arrivée du nylon d'Amérique) fait son apparition avec la rayonne et la fibranne, issues de la viscose obtenue par transformation de la cellulose, un dérivé du bois. Ces nouvelles matières, moins chaudes, d'une moins bonne tenue et moins résistantes au lavage que les autres, sont les seules disponibles, parfois dans des métrages si petits qu'il en faut deux différents pour confectionner une robe dès lors bicolore. C'est le règne de la débrouille, accentué par les cours de couture que reçoivent les jeunes filles dès le primaire.
Un important réseau de formation professionnelle est mis en place (école de la Martinière, la SEPR...), dans lequel les hommes travaillent le cuir et au tissage tandis que les femmes sont à l'exécution, au piquage et à la couture. Celles-ci apprennent à transformer un pantalon en jupe, décousant et recousant sur l'autre face du tissu jusqu'à ce qu'il soit totalement élimé. Les habits sont rembourrés avec du papier journal pour être plus chauds et les chaussures rafistolées avec des bouts d'étoffes, les semelles sont de bois, de liège ou de corde. Encore très codifiée (tenues de deuil, de demi-deuil, pas de juxtaposition du bleu et du vert, interdiction de porter un pantalon, pas de vêtements sombres pour les nourrissons...), la mode valse entre respect des traditions et transformations en s'enrichissant d'accessoires. Pour palier une garde-robe minimale, les femmes mettent en effet des rubans dans leurs cheveux et font évoluer les conventions en créant des tailleurs à capuchon, des sacs à bandoulière et des jupes-culottes pour pédaler plus facilement - la bicyclette est alors un engin en vogue, qui s'arrache à prix d'or au marché noir. Tout se recycle, ce que résume cette phrase du frère de Jeanne Guillin, témoin de l'exposition : «mes sœurs étaient très bien habillées mais nous n'avions plus de rideaux aux fenêtres».
Courrier des lectrices
La presse n'est pas en reste pour informer et aider les femmes au quotidien (de nombreux exemplaires d'époque en témoignent ici). Marie Claire, chantre du parisianisme créé en 1937, s'exile à Lyon en septembre 1940, cour de la Liberté. Sa parution (800 000 exemplaires en 1940) devient plus aléatoire et modeste au fil de la guerre, mais le journal s'attache à publier des patrons de tricot et donne des conseils alimentaires pour faire face à la pénurie de matières premières. Il donne aussi des astuces pour teindre des vêtements sans teinture ou se colorer les jambes (les femmes, faute de bas, vont même jusqu'à dessiner un filet noir à l'arrière de leurs mollets pour imiter au mieux cet accessoire, au risque que tout dégouline en cas de pluie !). Sans propos politique, ne prenant position ni pour ni contre le régime, Marie Claire, tout comme Le Petit écho de la mode, ne sera pas interdit à la Libération.
Le monde de la haute couture aussi tente de se déplacer à Lyon avec l'organisation au printemps 1942 d'un défilé de mode maquillée en manifestation artistique du Secours national. Des photos issues de reportages parus dans Marie Claire montrent le débarquement en gare de Perrache de ce faramineux convoi avec, à son bord, dix-huit couturiers, quatre-vingts mannequins, des vendeuses et des cabas en pagaille. La haute couture est d'ailleurs un fil rouge de Pour vous, mesdames !, via le récit de cette folle aventure mais aussi par la présentation d'une robe de la collection d'Yves Saint Laurent qui fit scandale en 1971 et, enfin, grâce à la présence de Nicolas Fafiotte tout au long du parcours. Le couturier lyonnais, aujourd'hui internationalement reconnu, a croqué une dizaine des modèles présentés dans l'exposition (des robes simples, d'autres plus élaborées et même une robe de mariée). Avec sa pate singulière, il donne un éclat supplémentaire à ces tenues et confirme que la coquetterie, chez les ouvriers comme chez les bourgeois, était aussi affaire de résistance.
Pour vous mesdames ! La mode en temps de guerre
Au Centre d'histoire de la Résistance et de la Déportation, jusqu'au dimanche 13 avril