Quelque 60 ans séparent les photographes André Gamet et Karim Kal. Réunis au Bleu du Ciel, ils se révèlent tous deux, malgré cet écart de génération, attentifs aux mutations et travers de notre société et sensibles à la poésie de la lumière.Jean-Emmanuel Denave
Alerte, précis dans ses souvenirs, le photographe André Gamet (né en 1919 à Oullins) nous commente un florilège d'une cinquantaine d'images, sélectionnées parmi les milliers de clichés qu'il a réalisées à titre personnel ou pour l'agence Rapho. «En fait, j'ai suivi les Trente Glorieuses» résume-t-il. Soit de l'occupation allemande à la fin des années 1960 en passant par la Libération de Lyon ou l'exode rural. Soit encore de fiacres remis en service en 1942 à un embouteillage place Jean Macé en 1967, de portraits pittoresques de paysans dans leurs chaumières ou d'écoliers dans des classes de campagne à l'édification de l'ensemble HLM des Minguettes à Vénissieux. Formé au dessin et à la peinture par l'artiste Pierre Combet-Descombes, photographe autodidacte dès l'âge de quatorze ans, André Gamet est ce qu'on appelle couramment un "photographe humaniste". De ceux qui ont de l'empathie pour les sujets photographiés dans leur quotidien et qui tentent de s'approprier le bon vouloir de la lumière.
«Poésie de la relégation»
A la fin des années 1960, André Gamet enregistrait le basculement à la fois architectural et économique de notre société : on fait de la gymnastique sur les toits des immeubles, la banlieue érige ses cités anonymes, les premiers hypermarchés alignent leurs rayons et quadrillent la consommation... Quarante ans après, le beaucoup plus jeune Karim Kal (né en 1977 à Genève) prend le relais avec son projet L'Arrière-pays, commencé en 2011 en banlieue parisienne et poursuivi en périphérie lyonnaise. «Il s'est d'abord constitué de vues d'architecture de logements sociaux, puis de détails et de paysages. Les photographies noir et blanc traitent de qualité de vie, de normalisation, de rapport à l'autorité, de paroles individuelles au sein du tout collectif» écrit l'artiste.
Toujours en noir et blanc, sa photographie se fait ici davantage plasticienne, agrandit ses formats, écarte la présence humaine et fait buter le regard sur des impasses, des fenêtres murées, des grilles ou des barreaux de prison. Les perspectives sont bouchées, anxiogènes, même si Karim Kal y imprime aussi, sourdement, une certaine «poésie de la relégation», selon son expression. Les images sont souvent impressionnantes, telle cette simple chaîne qui enferme une grande masse d'obscurité d'où pourraient surgir tous les démons fantasmés de la banlieue. On regrette simplement que l'accrochage au Bleu du Ciel soit un peu décousu et ressemble davantage à une étape de travail qu'à une exposition aboutie.
Karim Kal et André Gamet
Au Bleu du Ciel, jusqu'au samedi 29 mars et mardi 29 avril