Bien sûr, il y a le Prix Lumière qui lui sera remis vendredi soir en présence d'invités prestigieux — dont, dit-on, Penelope Cruz... Bien sûr, il y a la rétrospective de ses films, de ses œuvres provocatrices période Movida à ses opus de la maturité, mélodrames flamboyants dont Tout sur ma mère, Parle avec elle et Volver sont les plus beaux fleurons. Mais Pedro Almodóvar chaussera aussi, pour ce festival Lumière, la casquette du cinéphile à travers deux cartes blanches qui font figure d'aérations nécessaires au sein de la programmation, par la rareté des films choisis comme par leur éclectisme.
"El cine dentro de mí" propose un joli laboratoire où le cinéaste Almodóvar crée de stimulantes correspondances entre ses films et les films des autres, non pas comme des influences directes, mais plutôt comme des souvenirs féconds et obsédants dont la trace se retrouve sur l'écran, remodelé par son désir et ses obsessions. C'est parfois évident — L'Homme qui rétrécit, matrice du petit film muet en noir et blanc de Parle avec elle ; Le Voyeur, dont le personnage de Victoria Abril dans Kika est comme la reproduction à l'ère de la télé poubelle — parfois plus retors — Duel au soleil, superbe western de King Vidor, mis en relation avec le très pervers Matador — toujours pertinent.
Plus fort encore, Almodóvar est allé tracer sa propre généalogie du cinéma espagnol à travers sept films dont beaucoup sont inconnus du public français. Que ce soit Grand'rue de Juan Antonio Bardem, Le Bourreau de Luis García Berlanga, El Extraño Viaje de Fernando Fernan Gómes ou Furtivos, la vraie rareté du lot, tous figurent un cinéma libre qui, même allusivement, critique sévèrement la dictature franquiste. Quant à Arrebato d'Iván Zulueta, c'est un météore underground, une version hardcore du Voyeur de Powell réalisé en pleine Movida par un cinéaste mythique et maudit, à la vie aussi torturée que son film. Une merveille qui ravira les amateurs de cinéma déviant et de séances interdites...
Christophe Chabert