Adoptant à bras le corps le chaotique "Ekaterina Ivanovna" du Russe Leonid Andreïev, David Gauchard signe un spectacle d'une sidérante âpreté.Benjamin Mialot
Dans Des couteaux dans les poules, Vincent Mourlon interprétait, avec une intensité si redoutable qu'on se demande encore s'il était dans le sur-mesure ou dans la composition, un médiocre laboureur dont la femme s'éveille au langage et au désir au contact d'un meunier lettré. Dans Ekaterina Ivanovna, il campe un peintre hâbleur aux mœurs marginales qu'éclabousse l'effondrement du couple d'un ami député accusant avec une violence meurtrière sa femme d'adultère. Et sa prestation fait sourdre un doute similaire...
Car tel est le théâtre de David Gauchard, le metteur en scène derrière ces distributions, depuis la fin de sa trilogie shakespearienne qui le vit rajeunir des tragédies du barde d'Avon avec une malice confinant à l'insolence : si viscéral qu'il en devient plus vrai que nature.
Mise à nu
Une conséquence directe de sa décision de réinterroger son art est de le confronter à des auteurs plus contemporains : hier David Harrower, aujourd'hui Leonid Andreïev, sulfureux et pourtant méconnu dramaturge russe dont il adapte ici l'un des textes les plus féroces, rendant à ses comédiens une place que la vidéo et la musique avaient parfois trop tendance à leur ravir. Même si, paradoxalement, c'est avec ce spectacle qu'il retrouve le guitariste et fidèle collaborateur de la compagnie Olivier Mellano.
Les compositions pour piano et ondes Martenot de ce dernier constituent les rares respirations d'un vaudeville dramatique qui, à mesure qu'il se déploie, ressemble à s'y méprendre à une dantesque descente aux enfers. Celle de Marie Thomas, formidable de renoncement dans le rôle de cette bourgeoise détraquée par la jalousie maladive de son compagnon – au point de s'abîmer dans la débauche – et dont la performance (le terme n'est pas anodin) culmine en un monologue chorégraphié où, mi-combattante féministe mi-putain au bord de la crise de nerfs, elle vocifère toute la douleur qu'il y a à être une femme dans un monde d'hommes.
«Je voudrais que les hommes blêmissent d'effroi en lisant mon livre, qu'il agisse sur eux comme un opium, comme un cauchemar, afin qu'il leur fasse perdre la raison, qu'on me maudisse, qu'on me haïsse, mais qu'on me lise... et qu'on se tue» déclarait Andreïev dans son Journal. La rédaction, elle, décline toute responsabilité.
Ekaterina Ivanovna
A Théâtre Théo Argence vendredi 14 novembre