Ce mois-ci, la Ciné-collection du GRAC propose un film essentiel, dans notre panthéon personnel de l'histoire du cinéma : Monsieur Klein. Loin d'être une rareté — il triompha aux Césars l'année de sa sortie, en 1976 — il fait partie de ces œuvres mystérieuses vers lesquelles on retourne sans cesse. Alain Delon apporte le scénario à Joseph Losey qui l'avait dirigé dans L'Assassinat de Trotsky, conscient que le cinéaste américain, juif chassé par le maccarthysme, saura mieux qu'aucun autre trouver la note juste pour raconter cette histoire qui entrecroise questionnement identitaire, paranoïa sous le Paris occupé et préparation méthodique de la rafle du Vel' d'Hiv'.
Delon y est Robert Klein, marchand d'art égoïste et sans scrupule, qui n'hésite pas à profiter des persécutions juives pour racheter, à bas prix, les toiles de maître qu'ils vendent pour payer leur passage en zone libre. Un matin, il trouve sur son palier un exemplaire d'Actualité juive qui lui est adressé ; il part à la recherche de cet autre Monsieur Klein avec qui on l'a confondu, mais plus il met ses pas dans ceux de son double, plus il se retrouve pris au piège d'une machine étatique anonyme, aveugle et implacable.
L'inquiétude du film tient dans son mélange d'abstraction, à la lisière du fantastique, et d'évocation ô combien réaliste du sort réservé aux juifs à l'époque : du terrible examen qui sert de prologue à la conclusion terrifiante, Losey parvient à figurer l'horreur en montant en parallèle l'enquête de son protagoniste et la logique effroyable du régime de Vichy. Deux ans plus tard, Patrick Modiano publiera un récit qui fait écho à Monsieur Klein, Rue des boutiques obscures, autre quête identitaire faisant ressortir les spectres brumeux de la France collaborationniste — troublante coïncidence qui relie secrètement deux artistes majeurs de leur temps.
Christophe Chabert
Monsieur Klein
De Joseph Losey (1976, Fr, 2h03) avec Alain Delon, Jeanne Moreau, Jean Bouise...
Dans les salles du GRAC, jusqu'au 2 mars