Il photographiait simplement (mais en couleurs) sa bien–aimée en 1943-45 dans les rues de Lyon. Sans le savoir, Paul-Émile Nerson a constitué un véritable trésor, confié récemment au CHRD. Balade dans une expo petite par la taille mais grande par son exclusivité.
En 2008, la bibliothèque historique de la ville de Paris exposait les photos couleurs d'André Zucca, prises pour le magazine allemand de propagande nazie Signal. Une polémique avait alors enflé - certains commentateurs reprochant à l'institution de montrer la capitale endeuillée sous un ciel bleu et peuplé de passants vacant à leurs occupations comme si de rien n'était.
Nous ne referons pas le débat ici mais il est certain que Lyon en couleurs ne se heurtera pas à cette controverse. Car la quarantaine de tirages exposés (sur une centaine de diapos existantes) est le fait d'un simple amateur qui, par son métier d'artisan dans la fabrication de matériel photographique, a pu disposer d'une denrée plus que rare : des pellicules couleurs Agfacolor, utilisées pour la première fois pour les JO de 1936 à Berlin.
Amoureux, le jeune homme a photographié sa bien-aimée Suzanne Perné (dont le petit-fils a retrouvé ce trésor tout récemment) dans l'espace public, un acte alors strictement interdit par une ordonnance allemande datant de la fin 1942.
À bicyclette
Que montrent ces clichés ? Une ville (notamment le jardin des Chartreux et la Tête d'Or) presque tranquille, où seul pointe le bout de son nez un side-car d'Outre-Rhin caché par un scotch sur la diapo originale – preuve que Paul-Émile Nerson connaissait les risques d'une telle entreprise, d'autant qu'il était juif.
Autres vues : les ponts de Lyon – qui ont tous, à l'exception de l'Homme de la Roche et Saint-Vincent, ont été dynamité en septembre 1944 – dont le parfait état a permis, grâce à une analyse météo et quelques indications visuelles (la présence d'une affiche par exemple), de dater précisément la prise de vue.
Comme celles de Zucca, ces photos sont ensoleillées. Pas par volonté d'embellir ces années noires, mais parce que les pellicules 100 ASA, les seules disponibles, ne supportaient pas le temps gris.
Il en va de même pour les images prises en Bresse durant l'été. Si ces témoignages-là ne sont pas spectaculaires (on y voit des vaches, des ruches, des outils agricoles...), ils traduisent en revanche la grande précarité imposée par cette période de rationnement : les amoureux allaient en fait se ravitailler à la campagne chez les parents de Suzanne, à vélo, à plus d'une centaine de kilomètres de Lyon !
Les vêtements de la jeune femme, tailleurs amples (pour pédaler) cousus dans les vieux pantalons de ces messieurs ou semelles de chaussures en bois, font quant à eux écho à la passionnante exposition sur la mode en temps de guerre qu'avait réalisée le CHRD la saison passée. Autant dire qu'on n'a pas fini d'épuiser les précieuses informations contenues dans ce fonds.
Lyon en couleurs
Au CHRD jusqu'au 15 novembre