Musée des Beaux-Arts / L'exposition Picasso, baigneuses et baigneurs réunit quelque 150 dessins, sculptures et peintures de Picasso sur ce motif et... de nombreux autres artistes l'ayant influencé (Ingres, Cézanne, Manet, Degas...) ou ayant été influencés par lui (Francis Bacon, Niki de Saint Phalle...). Soit une double et passionnante traversée au fil de l'eau : de la modernité et de l'œuvre profuse de Picasso.
« Cela fait des années que je désirais faire une exposition autour de la Femme assise sur la plage de Picasso » s'enthousiasme Sylvie Ramond devant la presse. Un rêve qui se réalise presque idéalement en plein mois de juillet pour la directrice du musée et co-commissaire de Picasso. Baigneuses et baigneurs, avec Émilie Bouvard, ancienne conservatrice du Musée Picasso à Paris. Dans l'exposition, ce tableau de Picasso (voir notre encadré) côtoie deux autres baigneuses, peintes elles-aussi en février 1937, et très rarement réunies ensemble. Cette même année, Picasso s'attellera à la composition de... Guernica. Pour l'heure, en février, le peintre renoue avec son goût pour les baigneuses, dont les premières dataient de 1908, et les plus connues jusqu'alors étaient celles de la série dite des baigneuses de Dinard de 1928. À travers ce motif, comme Sylvie Ramond nous le rappelle, « Picasso voulait rivaliser avec ses maîtres (Ingres, Manet, Cézanne...) ». Monstre de travail et génial inventeur de formes inédites, Picasso n'a en effet jamais cessé de regarder, d'engloutir et de digérer à ses propres fins les grands noms de l'histoire de l'art. Il n'a jamais cessé non plus de passer de longs moments sur les plages espagnoles ou françaises, en compagnie de ses différentes épouses, maîtresses et de ses amis. Comme en témoignent les très nombreuses photographies émaillant le parcours de l'exposition.
Modernités
Picasso, baigneuses et baigneurs s'ouvre sur une magnifique première salle Baigneuses et modernité qui, en quelques toiles, donne à voir à la fois l'importance pour les modernes de la fin du XIXe siècle du thème de la baignade, et sa mutation par rapport à la tradition. Avec Manet, Cézanne, Gauguin, Degas, les baigneuses et les baigneurs quittent les récits mythologiques (Vénus à la toilette, Diane au bain...) pour retrouver le sable et les rivages de la vie réelle. Baigneurs et baigneuses prosaïques donc et emblématiques d'un nouveau loisir prisé par la bourgeoisie de l'époque, le bain de mer. Ces scènes sont aussi autant d'occasions de bousculer les codes de la représentation picturale. En peignant sa femme et son frère sur une plage de Berck-sur-Mer en 1873, Manet flirte déjà avec l'abstraction avec un paysage réduit à trois bandes horizontales superposées (la plage, la mer, le ciel) et faisant s'évaporer tout effet de perspective. En peignant d'innombrables scènes de baignade (deux cents peut-être ?), Cézanne métamorphose ses figures humaines en corps d'eau, de pierre et de vent. Et fait résonner ensemble, quasiment à l'état pur, les « forces de la peinture » (rythmes, couleurs, composition plastique...) avec les « forces de la nature ».
Picasso dans tous ses états
En un parcours chronologique, l'exposition propose une traversée rafraîchissante de l'œuvre de Picasso à travers le motif de la baignade, enrichie de nombreux contre-points d'artistes modernes ayant influencé peu ou prou Picasso, et d'autres ayant été influencés par le maître andalou (Francis Bacon, le sculpteur David Smith, Niki de Saint Phalle, des artistes contemporains...).
Toutes les périodes et toutes les tendances ou presque de Picasso se retrouvent ici dans ses scènes de baignade : néo-classicisme, primitivisme, cubisme, surréalisme, bio-morphisme... Et cette variété de styles et d'expériences plastiques s'entremêle à une grande variété de sensations et d'émotions humaines : sur la plage, avec Picasso, on joue au ballon, on s'embrasse voracement, on se désagrège en osselets, on se pétrifie, on batifole autour de cabines de bain, on s'arrache littéralement les tripes, on s'isole dans la contemplation de ses pieds et se perd dans une bulle de mélancolie... La plage est pour Picasso une scène et une surface réduites à l'essentiel, où l'artiste se donne toutes les libertés formelles, et révèle bien des facettes de l'âme humaine.
Picasso. Baigneuses et baigneurs
Au Musée des Beaux-Arts du mercredi 15 juillet au dimanche 3 janvier 2021