Une vie violente / Ambitieux premier film empreint d'une tragique fatalité, Le Royaume entremêle récits d'une adolescence avortée et d'une relation père-fille fragile, de guerre des gangs en Corse et de vengeances. Julien Colonna joint aux belles promesses, une impressionnante puissance cinématographique et dramaturgique.
Le regard du cinéma français sur la Corse a grandement changé depuis l'arrivée dans le paysage de Thierry de Peretti, il y a une décennie. Débarrassé d'un folklore éculé, une volonté de privilégier le réalisme et un désir de rendre compte des particularités de l'île de Beauté, territoire cinégénique négligé (ou sous-utilisé), sont palpables. Le Royaume vient idéalement conforter cette dynamique.
Mon père, ce héros
L'une des forces de cette première réalisation consiste à confronter une vision documentaire (et assurément documentée) à un récit lui-même partiellement autobiographique (bien qu'abordé d'un point de vue féminin). La Corse des années 90, avant que l'île ne soit entachée par l'affaire Erignac, devient le théâtre d'une tragédie familiale antique. Lesia, adolescente de quinze ans arrachée à une romance naissante, se retrouve plongée dans un monde violent et majoritairement masculin. L'introduction de son personnage est on ne peut plus symbolique : elle est cadrée de dos, casquette vissée sur la tête, entourée d'hommes, et sur le point d'éventrer un sanglier dans un rite de passage ancestral. La révélation de sa longue chevelure puis de son visage constitue son premier pas dans un milieu à la fois brutal et tendre, à l'image de son père.
Julien Colonna se sert des dualités au cœur de son script, pour explorer et investir plusieurs registres cinématographiques, dans un geste limpide et mutant. Le teen-movie précède le conte moral estival avant de virer au film criminel, puis in fine au thriller vengeur. Il aborde ces genres frontalement, sans distanciation, avec un appétit contagieux et un référentiel parfaitement digéré (ombres lointaines de James Gray et Michael Mann).
À son image
Le Royaume du titre, c'est avant tout cette Corse criminelle que l'on découvre de concert avec l'héroïne, témoin passif transporté d'un bout à l'autre de l'île. Le scénario coécrit avec Jeanne Herry (Pupille et Je verrai toujours vos visages), épouse dans un premier temps sa protagoniste. Il sonde les rouages d'un univers dangereux à travers le prisme d'une adolescente qui s'éveille au monde des adultes.
Entourée d'un casting convaincant d'authentiques vraies « gueules », la jeune Ghjuvanna Benedetti s'impose comme une révélation charismatique et magnétique. Juste et précise, la mise en scène de Julien Colonna s'autorise quant à elle de subtiles ruptures de tons. Ainsi, un long et touchant monologue paternel opère une bascule de point de vue, entraînant à sa suite le film vers le pur thriller nerveux et implacable. La tragédie ensoleillée s'assombrit et le cycle de violence peut continuer, inlassablement, faisant émerger par là même, une figure cinématographique iconique. Pour un coup d'essai, c'est un coup de maître.
Le Royaume
De Julien Colonna (France, 1h48) avec Ghjuvanna Benedetti, Saveriu Santucci, Anthony Morganti...
En salles le 13 novembre 2024