Entretien / Le réalisateur oscarisé de The Artist et OSS 117 réussit son passage à l'animation avec le beau La Plus précieuse des marchandises, un film qui creuse une veine plus grave de sa filmographie. Cinéaste polyvalent et jamais véritablement là où on pourrait l'attendre, nous sommes allés à sa rencontre. Propos recueillis par Vincent Nicolet et Jean-François Dickeli.
Comment représente-t-on l'insupportable, qui plus est, dans un film d'animation ?
Michel Hazanavicius : J'avais une obligation de tact et de délicatesse. Dès lors, j'ai cherché à proposer des images qui sont des réceptacles de l'éthique et de la morale de chaque spectateur pour se raconter l'insupportable. Un enfant de dix ans et un spectateur de quatre-vingt, n'ont pas du tout le même imaginaire des camps, ils n'ont pas besoin des mêmes images. Je propose une évocation, une suggestion, où chaque spectateur projette et participe à la narration. Les images dans la tête des uns et des autres sont ainsi très différentes.
Réaliser un film d'animation a-t-il fait évoluer votre travail de metteur en scène ?
MH : La finalité reste la même : créer des émotions, raconter une histoire avec des images et du son. En revanche, c'est la manière d'y arriver qui est très différente. Il m'a fallu apprendre un métier que je ne connaissais pas, réalisateur d'animation. J'ignore si cela fera évoluer ma manière de travailler, je m'en apercevrai peut-être dans deux ou trois films. Après La Classe américaine et OSS 117 qui sont beaucoup basés sur les dialogues, The Artist m'avait emmené vers un cinéma plus visuel, je ne m'en suis rendu compte qu'a posteriori.
Votre filmographie est de plus en plus hétéroclite, quel est votre moteur, votre fil conducteur ?
MH : Le moment du choix est le plus important, il définit les deux, trois années à venir et des choses qui vous constituent sur le long terme, il éclaire les nouveaux films. Quand les gens voient La Plus précieuse des marchandises, ils ne peuvent pas s'empêcher de se dire « c'est fou, le mec a aussi fait OSS 117 ! ». Il y a une absence de calcul de ma part, les seules choses qui me guident vraiment sont le désir sincère. J'essaie de faire le film dont j'ai le plus envie, au moment où je m'engage. J'ai un rapport amoureux aux films, je ne les fais pas pour de mauvaises raisons, cela m'empêche d'avoir des regrets. Si ça plaît, tant mieux, si ça ne plaît pas, c'est malheureux et parfois très douloureux, mais on ne peut pas forcer les gens.
En tant que cinéaste et cinéphile, revoyez-vous vos films ?
MH : En général, je ne les regarde pas, mais il m'arrive ponctuellement lors de projections de revoir des passages. Cependant, je souscris pleinement à l'idée de Bertrand Tavernier selon laquelle il faut revoir les films des autres. Souvent, la première fois, vous regardez autant le film que ce qu'on en a dit, le succès ou l'échec qu'il représente, avec la nécessité d'en penser quelque chose... À l'époque de The Artist, considéré comme une anomalie, des personnes se sont interrogées : « est-ce que ce succès est mérité ? ». Lorsque vous revoyez un film longtemps après, vous êtes décontracté, vous le regardez simplement pour ce qu'il est.
La Plus précieuse des marchandises
De Michel Hazanavicius (Belgique, France, 1h21) avec les voix de Jean-Louis Trintignant, Dominique Blanc, Denis Podalydès...
En salles le 20 novembre 2024.