Frédéric Khodja expose à la galerie Besson des dessins et des collages récents, traçant des topographies imaginaires à la fois étranges et inquiétantes. Jean-Emmanuel Denave
Au milieu de l'accrochage de ses dessins, Frédéric Khodja nous dit espérer «que ces images tissent entre elles, pour le regardeur, une sorte de langage commun». Jetant un coup d'oeil rapide et circulaire, nous remarquons la présence, la récurrence, d'une œuvre à l'autre, de "trous". Trous oculaires dans les masques ou les visages, cercles géométriques "creusés" dans des rochers se faisant face, trous dans le sol de certains espaces... On pourrait presque s'imaginer passer d'un dessin à l'autre par ces ouvertures, ou y plonger telle Alice dans un terrier ouvrant à une logique incongrue, à une dimension irrationnelle. Mais peut-être que, plus précisément, ces vides se posent ici comme autant de "sites de l'étranger", de lieux d'accueil du manque, de l'absence, de la perte. Si langage il y a, si les images "parlent" d'une certaine façon, c'est pour nous inviter à les ouvrir, à les approfondir de nos propres failles, angoisses et représentations intempestives. Une idée très proche de la thèse du critique d'art Georges Didi-Huberman qui, dans Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, attribue à l'image «le pouvoir d'imposer sa visualité comme une ouverture, une perte – fût-elle momentanée – pratiquée dans l'espace de notre certitude visible à son égard. Et c'est bien de là que l'image se rend capable de nous regarder».
Inquiéter le regard
Dans ses Géométries fictions (des collages qui accompagnent de longue date son travail de dessinateur), Frédéric Khodja évide des architectures, en isole certains éléments, expérimente des transformations, rend fantomatiques des maisons sans âge. «Ces images deviennent pour moi des documents et permettent de réaliser d'autres images» confie l'artiste. Ses images naissent effectivement de bien d'autres (créées ou pré-existantes), mais aussi de citations d'écrivains, de notes diverses, pour devenir peu à peu des «zones d'étrangeté». Depuis peu, Frédéric Khodja utilise des papiers préparés «comme des parois colorées, une peau» pour y inscrire ses paysages bizarres et un peu inquiétants. Inquiétant les certitudes, la géométrie euclidienne, une histoire de l'œil qui ne serait pas passée sous la plume d'un Georges Bataille (écrivain dont l'ombre est très présente dans cette exposition). Et si toute paroi a ses cavités et toute peau ses pores qui la font respirer, les images de l'artiste ont leurs passages qui aspirent le regard, l'invitant à se retourner sur ses points aveugles ou à la projection imaginaire. Frédéric Khodja a intitulé son exposition Le ciel est si peint que je ne le regarde pas. Ce ciel (qui, tour à tour peut être vide ou traversé de nuées d'images), lui, nous regarde bel et bien.
Frédéric Khodja
A la galerie Françoise Besson, jusqu'au jeudi 31 juillet