Urbanisme transitoire / Orbiane Wolff a cofondé La Cité des halles telle qu'on la connaît aujourd'hui, et surtout telle qu'elle pourrait s'arrêter au 31 décembre prochain. Le moment de faire le point sur le projet, et d'évoquer l'évolution de l'urbanisme transitoire à Lyon.
Le Petit Bulletin : Pouvez-vous rappeler la Genèse de La Cité des halles ?
Orbiane Wolff : À partir de 2018, Bouygues Immobilier a commencé à rencontrer des acteurs culturels et d'autres travaillant dans les milieux CHR (cafés, hôtels, restaurants, ndlr), pour trouver des porteurs de projets complémentaires qui pourraient occuper temporairement l'ancienne friche Nexans, avec des modèles économiques viables, tout en prenant en compte le fait que l'occupation transitoire ne permet pas d'aller chercher des subventions ou des mécènes.
Nous avons été trois à être choisis, j'ai rejoint l'équipe avec Superposition (côté artistique), Héni Chaussedent de la société Darwin (côté CHR), et Johann Milani de Sofffa (côté animations et privatisations). Ce dernier a quitté l'aventure pour développer Ballad club, des espaces de coworking.
Nous nous sommes lancés dans le projet en autofinancement avec chacune de nos structures, et il y a aussi eu un investissement de la part de Bouygues Immobilier. Ils ont ensuite récupéré une partie du chiffre d'affaires pour éponger celui-ci.
Bouygues Immobilier avait à l'esprit un projet de quartier. Notre rôle était donc de tester les usages, de faire de cette occupation transitoire un laboratoire d'expérimentation, de voir les envies des habitants. Nous avons donc mis en place une première préfiguration à l'été 2021, en occupant un espace plus réduit qu'aujourd'hui.
On était au rez-de-chaussée de la halle nord, on a proposé des activités variées et sondé nos usagers au cours de 120 événements. On a reçu 35 000 visiteurs particulièrement enjoués, et on a entendu qu'il y avait beaucoup d'attentes du côté des familles, qui souhaitaient des terrains de sport, mais aussi des bacs à sable de grande taille, des jeux, et surtout que le lieu soit entièrement fermé pour que les enfants puissent s'exprimer sans risques.
L'année d'après, on a pu proposer aux visiteurs une "version 2" qui prenait cette fois-ci beaucoup plus d'espace, appliquant bon nombre de requêtes des usagers, et intégrant une "fonction productive", c'est-à-dire des résidents artisans et des structures culturelles.
Cela représente 150 personnes qui pratiquent la sérigraphie, la teinture à la main, du lettrage, une distillerie... On est beaucoup moins cher que l'offre locative du centre-ville lyonnais. De plus, on a souvent engagé nos résidents pour des prestations, des ateliers, cela a représenté un vrai coup de pouce pour développer leur projet économiquement, leur offrir de la visibilité. Peu de nos résidents sont partis. Il y a une vraie demande de ce côté-là, on avait aussi observé cette dynamique quand on a occupé le Fort Superposition.
Qu'aviez-vous prévu pour la suite avec Bouygues Immobilier ?
OW : Nous avons signé un bail emphytéotique qui s'achève le 31 décembre. Nous souhaitions discuter avec eux de comment nous pouvions continuer à mener ce projet pendant la phase des travaux, mais nous restons sans nouvelles. Surtout que le permis de construire n'a toujours pas été validé, donc les lieux pourraient rester vacants encore longtemps.
Bouygues Immobilier nous avait proposé une occupation transitoire, à bien différencier d'une occupation temporaire. Sur le papier, nous devions retrouver une place dans le futur. Pour l'instant, nous n'entendons plus parler de cet accord de départ alors que tous les voyants sont au vert. On a prouvé que ça marche, en très peu de temps. Le modèle s'est avéré vertueux sur le plan économique, social, créatif : nous comprenons que la conjoncture actuelle occasionne un stress des promoteurs, mais nous souhaiterions conserver les forces productives ainsi que le lieu de convivialité au sein du nouveau quartier.
Comment La Cité des halles s'est-elle avérée vertueuse sur le plan économique ?
OW : De notre côté, on essaye d'arriver à l'équilibre. En revanche, si on prend tout l'écosystème de la Cité des halles, on a collectivement généré 5 millions d'euros de chiffre d'affaires avec de l'artisanat, du culturel... Les synergies qu'on a créées leur ont vraiment permis de se développer.
À cela, il faut ajouter qu'en plus de nos 150 résidents, la Cité des halles compte une trentaine de salariés, et une cinquantaine durant l'été. On a travaillé avec 500 structures culturelles lyonnaises : tatouage, création, illustration, seconde main... Sans compter les partenariats. 99% de nos événements ont été proposés gratuitement. Le maximum qu'on a fait payer, c'est six ou dix euros pour des spectacles burlesques.
En tout, on a accueilli 450 000 visiteurs, issus de toute la métropole et parfois même de tout le pays quand on pense à certains événements comme la convention rétrogaming Poly'gones, Planète seconde main, ou le Marché drag et queer.
Un déménagement est-il envisageable ?
OW : C'est vraiment difficile à dire. Déjà, nous sommes dans l'urgence pour relocaliser toute la fonction productive donc nous prospectons. On cherche vraiment à opérer sur ce quartier car il nous tient à cœur. Cependant il faut se rendre à l'évidence, il est de plus en plus difficile de retrouver de l'espace ici ou en cœur de ville. Ce concept de "place du village" qui est le nôtre à La Cité des halles, n'aura plus beaucoup de sens si on le fait à une demi-heure de Lyon. Honnêtement, on aimerait vraiment garder cet espace, même en partie.
Quel regard portez-vous sur l'évolution des occupations temporaires et transitoires dans la métropole de Lyon ?
OW : On observe un phénomène "naturel", le prix du foncier grimpe et les espaces comme le nôtre disparaissent peu à peu. C'était déjà ce qu'on remarquait lorsqu'on occupait le Fort Superposition. Cependant la Métropole essaye vraiment d'investir ce qu'on appelle "l'urbanisme d'interstice" et valorise leur importance, pensant notamment à la nécessaire relocalisation des fonctions productives en cœur de ville. On le voit aussi avec des projets comme celui des Grandes Locos, cependant la tendance reste inquiétante car chaque mètre carré doit être rentable.
La Métropole de Lyon vous a justement attribué un nouveau projet dans le 7e arrondissement de Lyon, devant le collège Gisèle-Halimi. Pourrait-on y retrouver un peu de l'esprit de La Cité des halles ?
OW : Notre occupation va durer quatre ans avant le début des travaux pour construire un gymnase. Avec Sportfield, nous allons aussi faire de la préfiguration d'usage, notamment sur la partie sportive. Il y aura des terrains de padel, une zone multisport, une zone de diffusion des matchs et une guinguette. Ça n'a pas grand-chose à voir avec La Cité des halles car c'est très orienté sport, avec, entre autres, la volonté de travailler sur la partie inclusive de ce genre de lieu, pour qu'il y ait plus de femmes, notamment. Avec Akka studio (qui a pris la suite de Superposition, se recentrant sur la partie gestion de projet et management d'artistes, ndlr), on va aussi apporter notre savoir-faire sur la partie "art urbain" en proposant des designs actifs. On a peint plusieurs escaliers des pentes de la Croix-Rousse, comme ceux des Carmélites, et cela incite vraiment à les gravir, ça modifie les flux. On réfléchit à faire la même sur les équipements sportifs par exemple, pour booster l'inclusivité.