Analyse / On ne sait pas pourquoi Zach Condon a choisi de nommer son groupe Beirut (orthographe américaine de «Beyrouth»). Peut-être parce que la capitale du Liban a toujours été un point où se heurtent violemment certains des antagonismes du chaos du monde et que c'est cette collision entre des mondes qui se découvrent en s'entrechoquant qui intéresse Condon. Peut-être a-t-il aussi simplement sacrifié à cette manie américaine de baptiser ses villes du nom de cités préexistantes (Paris au Texas, Syracuse dans l'état de NY, des tas de Berlin, Rome, Manchester et même Montpelier, capitale du Vermont), un clin d'œil à cette façon originale et paresseuse qu'ont ainsi les Américains de voyager en restant chez eux : Paris sans quitter le Texas, le pied. Cette manie, Condon l'a assimilé jusqu'à faire de ses chansons des cartes postales (Postcards from Italy), une manière de s'évader de la prison à ciel ouvert qu'est le Nouveau Mexique (pense-t-il à son État natal quand il nomme son premier album Gulag Orkestar, «l'Orchestre du Goulag», un goulag où on crèverait de chaud ?) Ainsi, sa musique est-elle une machine à voyager dans le temps et l'espace (The Flying Club Cup fait référence à un meeting de montgolfières du début du XXe siècle), ses albums des itinéraires bis, dont les morceaux sont des étapes à marquer d'une punaise sur un planisphère (Scenic World). C'est pourquoi il leur donne des noms de lieux : Prenzlauberg, Brandenburg, Rhineland, Bratislava sur Gulag Orkestar, ou encore Nantes, Cherbourg et même La Banlieue, sur The Flying Club Cup. Zach Condon s'invente à travers ses chansons, un nouveau monde bien à lui, qu'il cartographie à sa guise, entre fantasmes et carnets de voyage, dans l'esprit des pionniers comme dans celui de leurs ancêtres européens. Elles sont alors une manière de déconstruire, pour lui donner du sens, cette Amérique parsemée des fantômes de villes «européennes», vestiges mémoriels d'une histoire entamée sur un autre continent. SD
