Théâtre / Le Brave soldat Chveik s'en va en guerre. Voyage au pays de l'absurde au bras de Philippe Clément pour une descente dans les affres de la comédie grinçante.Dorotée Aznar
Au départ, il y a l'œuvre de Jaroslav Hasek, Les Aventures du Brave Soldat Chveik, celle d'un journaliste anarchiste, engagé dans l'Armée rouge, adhérent au parti bolchevique, créateur du "parti d'un progrès modéré". Une œuvre en suspend, laissée inachevée à la mort de l'auteur et réappropriée fort à propos par Philippe Clément. Le metteur en scène propose une réécriture nourrie des improvisations des comédiens, en quête d'un nouveau langage. Chveik, c'est avant tout la philosophie de l'Histoire selon Hasek. L'histoire n'est pas amenée à se répéter, elle est incompréhensible, injustifiable. Ses revirements grotesques ne sont pas dictés par des événements de mesure à justifier des conflits mondiaux mais au contraire par des circonstances banales nées de microcosmes sordides. La guerre naît d'un malentendu, germe dans des bars, s'épanouit dans les tripots. C'est cette ambiance que le metteur en scène choisit de retranscrire.Héros malgré luiLa pièce avance en petites discussions poujadistes, au bistrot du coin ; décors minimalistes, capharnaüm des conversations où l'on écoute que soi, lignes horizontales de la monotonie que vient à peine effleurer la verticalité d'un pouvoir à roulette. Dans un monde déserté par l'innocence, les mouches chient sur l'empereur et les idiots sont suspects. Pourtant, la police politique ne peut rien contre l'impérieux idiot, le débile suprême. Et le pauvre Chveik, héros malgré lui, règle le sort de ceux qui l'approchent. Le rythme de la pièce est soutenu, la distribution irréprochable, le texte trouve dans l'improvisation son achèvement naturel. L'absence de sens côtoie l'impunité, la musique est comme expulsée, les changements de costume se font sur scène. Les thèmes abordés sont forcément la guerre, la religion et le sexe. L'aumônier attend son heure au bordel pendant que le brave Chveik occupe les prétendantes des officiers supérieurs, trop pressés de flirter ailleurs. Sens, valeurs et morale sont définitivement coincés six pieds sous terre, alors faute de mourir pour ses idéaux ou sa patrie, on meurt pour un chien à poils rouges. L'identité et les lieux ne sont fixés ni dans l'histoire, ni dans le temps. La troisième guerre mondiale démarre dans l'ancienne poudrière de Sarajevo, se nourrit de bretzels et laisse planer l'ombre des barbus. Le non sens de situation trouve son accomplissement dans l'invention d'un langage, qui prolonge justement les mots de l'auteur dans la deuxième partie de la pièce. C'est pipi caca popo à souhait et c'est exquis, "tellement laid que ça en devient beau".Le brave soldat ChveikAu théâtre de l'Iris Jusqu'au 12 février