Le sale air du zappeur

Télévision / Il est plat avec plus ou moins de profondeur, parfois lumineux et souvent poussiéreux. Mesdames et Messieurs, découvrez avec moi mon petit écran !

Rester chez soi n'a pas que des inconvénients. En plus, ça vous transforme vite en aventurier d'appartement, à l'instar de Raymond Calbuth, le héros du visionnaire Tronchet — tiens d'ailleurs, est-ce que j'ai fait du stock de fromage en portions ? Hier après-midi, en déplaçant un tas de DVD à (re-)regarder qui m'empêche de bouger la pile de livres à lire (faut bien s'occuper), je me souviens que l'écran sur lequel je regardais les films est un peu, à la base, comme un petit multiplexe cinématographique ; un truc de dingue programmant EN MÊME TEMPS plein de choses et pas que des rediffusions des Simpsons les vendredis et samedis soir. La légende dit que l'on peut faire apparaître ces images sur l'écran grâce à une amulette magique, et qué s'appélerio télécommande. Sauf qu'évidemment, elle est où la télécommande ? Pas celle de la télé, hein, ça serait trop simple, celle de la box-qui-est-toute-plate-et-toute-noire, conçue par des designers qui habitent dans des catalogues et pas dans la vraie vie ? Après avoir dépecé le canapé et retourné le salon, une illumination : il y a des boutons de commande sur la box. Ça ira comme ça. Pour y accéder, reste à bouger la pile de livres et à déplacer un tas de DVD qu'un imbécile avait posés devant. Le mouvement un peu brusque déséquilibre l'empilement de boîtiers, déjà peu stable — ce ne sont pas des Kapla —, éparpillant au sol dans une orgie étrange Hitchcock, Nolan, Winnie l'Ourson, Jean Yanne, Bergman, le Livre 3 de Kaamelott... Sous L'Île au trésor (1934) — oh, il est encore sous blister çui-là — se dévoile alors un truc oblong et sombre bien qu'il soit de marque Orange, avec des chiffres. Hosanna !

Écran, maintenant, c'est entre toi et moi : j'ai la télécommande et n'hésiterai pas à m'en servir. Ainsi fut fait.

J'ai commencé par zapper. Passant les premières chaînes comme on passe au tarot. TF1, France 2 et France 3, c'est pas vraiment des chaînes, plutôt de la famille éloignée, le genre inamovible ; Canal+, c'est le copain de classe avec qui tu as été BFF mais dont la trajectoire s'est éloignée de la tienne sans que tu comprennes pourquoi. Après, ça devient un peu plus baroque, façon boîte de chocolats de Forrest Gump. France 5. Je m'attendais à voir le zozo du jardin expliquer comment amender son thuya et faire son semis à la lune montante, voire un type prendre un train déglingué passant sous l'eau, mais j'ai eu droit à plus exotique : Dominique Besnehard en bretelles, ânonnant comme un Stéphane Bern anamorphosé, une présentation soporifique de Tchao Pantin !.

Des moulinets avec les bras

J'ai aussitôt pris congé sur M6 : sa pastille de Scènes de Ménages qui m'a orienté sur Arte. Ah, un film en hommage à Tonie Marshall. Tentant mais pas exotique. Continuons la mission. C8. J'arrive sur du télé-achat, visiblement : le type doit brader un truc, il cause à toute berzingue en faisant de grands moulinets avec les bras. Mais non ; c'est Hanouna animant une émission spéciale sur un sujet sanitaire — wow l'oxymore. Le programme dit qu'après ça, il y a quand même deux Wolverine, dont Logan — ça se paie cher sur C8. W9 fait une rude concurrence en alignant des Marseillais à Cancun. Pitié... Pourquoi il n'y pas les Simpsons comme d'habitude ? Plus tard, ils se la jouent diptyque avec Speed et Speed 2. Si vous aimez les huis clos... On avance sur TMC. Yann Barthès fait la leçon le sourire en coin ou l'air faussement étonné. Déjà vu. Allez, la 11. Enfin, TFX. Friends. Jamais vu un épisode de ce truc “générationnel“, ça m'a jamais attiré. C'est pas ce soir que je vais commencer. Plus tard, il y aura Appels d'urgence. Alors, comment dire... un reportage anxiogène sur « les interventions à hauts risques pour le Samu du Nord », bah euh, pas en ce moment.

NRJ12 donne l'impression de marquer à la culotte le précédent : d'abord Big Bang Theory et puis Crimes (plus d'hosto, mais des faits divers bien sordides avec des témoins du crû, des reconstitutions avec des ralentis). Public Sénat nous tend alors les bras — mais la Chambre, pas ce soir, j'ai la migraine. France 4 propose Zorro puis deux pièces de théâtre d'après le programme. Mon doigt, lui, propose d'appuyer sur le bouton.

Le numéro 15 ouvre les portes non du Samu mais de BFM TV — je vous l'accorde, on pouvait s'y tromper au vu des images. Nous entrons dans le domaine des chaînes d'info puisque CNews lui succède avec L'Heure des pros. C'est pas sympa de mettre des images de basse-cour pareilles à la télé ; ça donne envie d'aller à la campagne et la campagne, on ne la verra pas avant un p'tit moment. Vite, zappons ! Et nous voici sur CStar devant le fascinant Pawn Star. Le concept est simple : on suit le quotidien d'une famille de boutiquiers de Las Vegas achetant au plus vil prix possible les objets hétéroclites que des clients tentent de leur refourguer. Quand il s'agit de pièces potentiellement coûteuses, ils font appel à leurs amis experts. Le tout est entrecoupé de saynètes dans lesquelles le père, le grand-père et les deux petits-enfants se taclent à l'envi. On a quoi cette fois ? Une grand-mère qui a retrouvé le slip de George Washington dédicacé par Abraham Lincoln ? Une montre russe qui est allée sur la Lune ? Un sabre égyptien de la dynastie Han forgé à Tolède ? Le flipper à baldaquin d'Elvis ? Quelle que soit la merveille, le boutiquier sortira un truc du style : « combien en demandez-vous ? » Sûr de son coup, le gogo avancera un chiffre astronomique, avant de se faire doucher par un : « j'vous en donne 3 dollars » et finir par se faire avoir en cédant sa babiole pour le dixième de son ambition. Cheh ! Le plus drôle, c'est quand même la post-synchro par superposition, avec les voix françaises des doubleurs bien exagérées. Heureusement qu'il n'y a que deux épisodes : c'est purement hypnotique.

Tourner une séquence nue

Retour en enfance avec Gulli. C'est une énième série avec adolescente qui chante. Un peu comme chez Disney. Dans quelques années, elle voudra montrer qu'elle n'est plus une gamine et fera un truc osé (dire un gros mot, se raser la tête, tourner une séquence nue avec un cinéaste underground...). Mais à ce moment-là, ça ne passera plus sur Gulli ! Passons donc Gulli. Tiens, on arrive sur une chaîne en sursis, comme France 4 : France Ô, sur le point de se faire débarquer de son canal. Peut-être qu'elle va avoir un surcroît d'audience — c'est-à-dire pas uniquement des spectateurs pour Meurtre au Paradis, l'équivalent de Chérif sous les tropiques ou de Capitaine Marleau en bikini (je vous laisse imaginer, avec la toque, et Josée Dayan derrière le combo). Pas de bol, il y a du documentaire et du mag' invitant forcément aux grands espaces : Carnaval de Notting Hill, Échappées belles aux Grenadines... Rien que le titre fait mal au cœur-Voulzy. Allez, une pression (pas à boire) mais sur le bouton et revoici TF1, version séries, canal 20. Ah bah y a pas tromperie sur la marchandise : ce sont des séries. Et une sorte de compilation thématique de ce qu'on a vu précédemment : Grey's Anatomy et Les Experts : Miami pour finir de convaincre les spectateurs qu'ils sont des experts médicaux en puissance et nous faire envie avec une débauche de gants, de masques et de gel hydro-alcoolique. Mais, par Foucault (Léon, Michel et Jean-Pierre réunis) n'y a-t-il rien d'autre à la télé ????

Ah, si. Un épisode de la série documentaire Astéroïdes, la Grande Apocalypse. Où l'on s'amuse à modéliser l'éventualité où une météorite de type Chicxulub (le petit nom du caillou qui a occis les dinosaures) frapperait à nouveau la Terre. On s'amuse comme on peut. "La lapidation de Dieu", qu'on pourrait appeler ça : pouf, il balance une caillasse sur Los Angeles (où d'autre ?), qui provoque des incendies géants, un tsunami avec des vagues de 200m : « pendant le tsunami en Asie, les vagues faisaient un mètre, martèle l'expert, alors des vagues de 200m imaginez, ce serait horrible ». Sans blague. Surtout qu'ensuite c'est nuage de cendres, hiver nucléaire et tout le tintouin, y a même plus un pied de maïs debout dans le Midwest (fini le popcorn, bonhomme), il gèle en Afrique. Il faut agir, sauver le monde : je zappe.

Un poisson qui rentre dans les pénis

Je ne sais même plus sur quelle chaîne je viens d'assister à l'Apocalypse. Dans les fonds de tiroir de la TNT, on nous en cale dix par jour des programmes catastrophiques. Il faut aimer les histoires de météorites, de complots extra-terrestres, d'enquêtes sur le monstre du Loch Ness, les expertises documentaires sur les grands crashes de l'aviation ; le triangle des Bermudes ou les époux Warren doublés par Morandini ; ne pas être non plus allergique aux nazis, à leurs mégastructures, à leurs médecins, à leurs animaux de compagnie (je me demande pourquoi on ne crée pas carrément Nazi TV pour regrouper tous ces docus à pas cher, ça irait plus vite). Moi mon truc, j'avoue : ce sont les poissons-tueurs depuis que j'avais découvert Chérie FM chez mémé alors je zappe en vain sur la 25 en espérant tomber sur River Monsters. C'est un peu Sherlock dans le bayou, Rouletabille en eau trouble. Et le limier, c'est Jeremy Wade, un genre de poissonnier de l'extrême. À chaque épisode il vient enquêter au fin fond de la Thaïlande, au cœur de l'Amazonie ou dans les galeries souterraines du Mexique. Là où traînent des créatures immondes et tueuses qui enlèvent les enfants, tuent les pêcheurs, amputent les baigneurs. Il aime plonger dans les pires bouillons de culture de la planète, le Wade. Il mène l'enquête et bim, il trouve le coupable : un poulpe géant, une raie de six mètres de large, un poisson qui rentre dans les pénis.

Mais ce soir, Jeremy n'est pas là, il doit être à la pêche. Alors je glisse vers Paris Première où pour 1, 99 euros, on peut se régaler d'éternelles rediffusions de Kaamelott (mais ça c'est le week-end). Ce soir Gabin joue les Maigret dans Maigret voit rouge, un suspect anglais le traite de bâtard : « ooooh, fait-il avec sa voix de caverne, il fait référence à ma famille, yyyy me traite de bataaaard. » L'enquête résolue Paris Prems enchaîne avec un docu qui pose la vraie question : L'érotisme, un atout ou un abus de cinéma ? Vous avez quatre heures. Thèse, antithèse, synthèse, tiens Brigitte Lahaie, c'est vrai qu'elle a l'air sympa ! Une pression sur la boîte noire et, horaire oblige, sur RTL9 c'est Libertinage, une émission sans paroles vachement #metoo ou des filles nues ondulent sur de la musique d'ascenseur en une version plus ou moins arty de la playmate de Collaro. Cela doit plaire aux nostalgiques d'Hollywood Night, les soirs du samedi des années 90 quand papa et maman étaient enfin aller se coucher, les enquêtes y étaient toujours passionnantes. Bon Libertinages, c'est bien mais ça va cinq minutes de regarder cette dame désœuvrée se toucher partout comme pour vérifier que ses seins, ses genoux, sa nuque, sont toujours là (parce que ses habits, elle n'arrive plus à mettre la main dessus). Et puis pourquoi se frotter contre un rocher comme ça ? Elle a des puces ? Et puis ce filtre aussi là, à la David Hamilton, ça fait mal aux yeux, je vois trouble. Et puis, j'ai faim alors je passe sur 6ter, elle a l'air chouette cette émission de cuisine, Norbert, Commis d'office. Mais je déchante, Norbert Tarayre, ex-Top Chef est en fait là pour rééduquer, sur dénonciation de proches ("Oooh, les batards", comme dirait Maigret/Gabin) les cuistots du dimanche, ça donne des trucs du genre : Julie, non-assistance à porc en danger ; Coco, fraude au beignet ; Pamela, extermination de tiramisu ; Christophe, trafic de sauce et ça fout carrément la gerbe. Tu diffuses ça worldwide, tu éradiques la faim dans le monde. Vite de l'air !

Sur la chaîne L'Équipe, tel un phare dans la nuit, les olibrius de l'Équipe du soir, dissertent à longueur d'année sur le bien fondé (ou pas) de la VAR, ou s'écharpent pour savoir qui de Messi ou Ronaldo a la plus grosse ou sur la simulation honteuse de l'avant-centre de Châteauroux en Coupe de France contre Trifouillis-les-trois-Canetons.

« Puisque je vous dit qu'y avait pas péno ! - Non, mais t'es aveugle ?? Y a-même carton rouge ! »

Ces gens-là ne voient pas beaucoup leur famille, il faut les comprendre. L'Équipe TV, à partir de 23h c'est open bar avec rediff' en boucle, et ça se regarde bien, un peu comme les séances de l'Assemblée, en plus truculent. Mais ils ne sont pas là, ce soir les zozos (il a dû se passer un truc) et sur la chaîne l'Équipe, pas de demi-mesure : on ne cause que de foot et on diffuse du biathlon, de la pétanque ou les championnats du monde de fléchettes (la dure loi des droits TV). Ce soir c'est bûcheronnage sportif. Un sport accessible à tous. En compréhension, hein : faut pas avoir fait Stanford pour choper le principe, pas comme le baseball : deux types qui ont du mal à entrer dans leur tee-shirt avec des deltoïdes haut comme le Ballon d'Alsace font la course en débitant du rondin à coups de hache pour montrer qui c'est Raoul (et Raoul faut pas l'emmerder, t'as vu ?). Sur toutes les chaînes peu à peu gagne la mention "programmes de la nuit » : un robinet à redites et à programmes en solde que la pudeur interdit même de nommer. C'est l'heure assumée des insomniaques. J'hésite entre ce qui ressemble au Südtirol Jazz Festival sur Mezzo et TV5 monde où il est question d'un chien qui enquête sur Internet (je commence à fatiguer, je crois). Alors j'enchaîne Seuls Two et Libre et assoupi, sur OCS City et Max. À 4h40, un dernier film m'achève en m'informant du pire : La nuit a dévoré le monde. Et je crois que c'est là-dessus que je m'endors, 5h du mat' sur Ciné + Frisson.

Stéphane Duchêne & Vincent Raymond

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