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« Les habitants ont été dépossédés à la faveur des Jeux olympiques »
Par Laure Solé
Publié Vendredi 12 avril 2024
Photo : Jade Lindgaard par Mathieu Genon
Festival Les Intergalactiques
MJC Monplaisir
ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement
Du pain et des jeux / Jade Lindgaard (autrice et journaliste à Mediapart) sera présente à la 12ᵉ édition du festival Les Intergalactiques à Lyon. Elle participera à une table ronde "le stade est-il barbare ?" et présentera les résultats de son travail de recherche sur les impacts sociaux et environnementaux des Jeux olympiques à venir, consignés dans son ouvrage "Paris 2024, une ville face à la violence olympique".
La promesse d’un "héritage bénéfique" pour le pays était au cœur du dossier de candidature de la France pour obtenir l’organisation des olympiades. Comment a-t-elle réussi à convaincre ?
Jade Lindgaard : Dans son dossier de candidature, la France s’est engagée à construire peu d’équipements, afin que les JO soient le moins coûteux possible, et "soutenables" d’un point de vue environnemental. Le cahier des charges imposait aussi que ces jeux soient bénéfiques pour le développement d’un quartier déshérité, comme demandé à Londres, ainsi qu’à Tokyo, afin que les infrastructures bénéficient aux habitants même une fois les jeux finis.
Il faut dire que depuis les années 1980, le CIO (Comité international olympique) a déploré l’édification de plusieurs "éléphants blancs", à Sarajevo, Athènes, Rio. Des infrastructures abandonnées après les jeux, car trop énormes. A priori, Paris 2024 construira moins que Los Angeles en 2028, notamment grâce à l’existant, comme le Stade de France inauguré en 1998.
Le CIO impose tout de même une série de conditions coûteuses comme la construction d’un Village olympique, alors que Paris aurait pu trouver une autre manière d'héberger les 10 000 athlètes. Les constructions "obligatoires" ont été décidées très vite, sans concertation, infligeant une violence sans précédent aux habitants de Seine-Saint-Denis. Ce qui est exactement l’inverse de la promesse de départ.
L’organisation des JO a aussi eu un impact sur votre quotidien, en tant qu’habitante d’Aubervilliers. Vous avez par exemple participé à la mobilisation contre la destruction d’arbres fruitiers et de 4 000 mètres carrés de sols maraîchers.
Il a été prévu de creuser des piscines d’entraînement pour les athlètes à Aubervilliers. Une très bonne idée dans le quartier de Fort d’Aubervilliers par exemple, car très pollué, très bétonné et éloigné de la seule piscine municipale de la ville. Sauf qu’avec ce projet, il était aussi prévu d’installer sur du béton un solarium géant, qui devait être construit sur les Jardins ouvriers des vertus datant du 20ᵉ siècle. Des jardins utiles pour la biodiversité et nécessaires pour la subsistance de nombreux ménages modestes du quartier, qui ne se rendaient que rarement au supermarché.
Avec bon nombre d’habitants, nous nous sommes mobilisés très vite, nous avons lancé des recours juridiques et occupé les lieux pendant trois mois avant de nous faire expulser. La préfecture, la Ville et l’aménageur public nous ont dit « c’est trop tard, on n’a pas le temps de changer les plans ». Les tractopelles sont arrivées et ont excavé des mètres cubes de terre fertile sur un gros quart des jardins. Les gens pleuraient. Une semaine après le début des travaux, une décision de justice a arrêté le chantier, enjoignant la Ville d’Aubervilliers à rebâtir ces jardins à l’identique.
La piscine sera bâtie sans son solarium, c’est ce que les gens voulaient depuis le début. Cette histoire parmi tant d’autres est symptomatique de l’organisation de ces JO : Il n’y a aucune place pour laisser les habitants exprimer des choses, même des évidences. Les collectivités locales, en Seine-Saint-Denis comme à Aubervilliers, ont traité les habitants comme des "anti-tout", des militants radicaux, qui s’opposaient en bloc aux Jeux olympiques. Ils s’opposaient seulement au rasage brutal de leurs jardins. Les habitants ont été dépossédés à la faveur des Jeux olympiques
Dans votre ouvrage, vous évoquez les expulsions de 1 500 personnes avec l’implantation, notamment, du Village olympique.
Dès l’annonce des JO à Paris, il y a eu l’expulsion d’un foyer de 300 travailleurs étrangers, ainsi que du squat Unibéton, qui abritait 400 personnes. D’autres ont suivi dans le cadre du projet de rénovation urbaine de la cité Marcel-Paul au sud de l’Île-Saint-Denis. Un processus de rénovation urbaine qui a été accéléré pour faire de la place au Villlage olympique. Les familles ont été relogées rapidement, dans des appartements qui souvent ne correspondaient pas à leurs besoins. Évidemment, les habitants du squat Unibéton n’ont pas retrouvé de toit.
Vous prévoyez une modification durable du département avec une politique de rénovation urbaine diminuant les logements sociaux du quartier Marcel-Paul de 93% à 63%, en soulignant la constitution par le parc privé d’un "butin immobilier".
Pour bâtir ce Village olympique, il a fallu investir 2 milliards d’euros. Une somme que l’État ne possédait pas. Comment ne pas sortir d’argent et quand même construire un joli quartier, moderne, ecofriendly ? En faisant appel massivement au privé, à Vinci, Eiffage, Nexity, la Caisse des dépôts et la branche immobilière de la Société générale pour ne citer qu’eux. Ces entreprises ont investi beaucoup, pour faire de ce Village olympique une vitrine de l’immobilier privé, et aujourd’hui, elles ont besoin de rentrer dans leurs frais.
Depuis l’année dernière, on voit les annonces de ces appartements à vendre en Vefa (contrat par lequel un bien immobilier est vendu avant de construire ou en cours de construction). Ils sont en moyenne 30% au-dessus des prix du marché. Vinci a légèrement baissé ses prix au bout d’un mois, parce qu’ils ne trouvaient pas d’acheteurs, mais ces ventes ne s’adressent dans tous les cas qu’à des personnes qui n’habitent pas en Seine-Saint-Denis. Pour justifier cette politique, le maître-mot est celui de la "mixité sociale" qui ne pourrait que bonifier le département. Tout l’argent qui a été investi ne l’a pas été pour les habitants. Les prix vont globalement augmenter, renforçant la dynamique lancée par le Grand paris, et un effet d’éviction des plus vulnérables.
Tout ça en mobilisant des sommes folles, pour le Village olympique, 2, 3 milliards d’euros ont été dépensés pour 6 000 personnes et 6 000 bureaux ; c’est plus que tout l’argent dépensé par l’Anru (Agence nationale pour la rénovation urbaine) durant plusieurs années pour tout le département, soit 600 000 habitants. 78% des logements du Village olympique seront privés, pourtant 17 000 personnes attendent un logement social dans le département. C’est difficile d’avaler que ces investissements ont été réalisés pour les habitants.
Le festival Les Intergalactiques auquel vous participez s’articule autour de la science-fiction. Qu’est-ce qu’enquêter sur ces jeux vous a fait entrevoir du futur ?
Je vois un futur d’aménagement arbitraire, déshumanisé, sans interlocuteurs. Les choses viennent d’en haut, on a beau interpeller des élu(e)s, on nous met face à des pelleteuses ou des policiers, qui nous disent qu'ils agissent pour notre bien.
J’ai constaté une résignation grandissante, écrasante chez les habitants, « Les JO ce n’est pas pour nous », ai-je entendu à maintes reprises. D’une part, car les billets sont hors de prix, d’autre part car elles et ils sont exclus de tout ; d’une éventuelle consultation, mais aussi de pouvoir profiter des biens qui sont bâtis en lieu et place de leurs anciens logements.
Finalement, les Jeux olympiques seront l’occasion d’une débauche de moyens de surveillance, avec l’installation massive de vidéosurveillances algorithmiques, des scanners corporels à ondes millimétriques… qui ne disparaîtront probablement pas à la fin des jeux.
Les Intergalactiques
À la MJC Monplaisir, du 18 au 23 avril 2024
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